FranceUn ex-oligarque a-t-il obtenu sa nationalité illégalement?
La Fondation internationale pour une meilleure gouvernance s’interroge sur la nationalité française obtenue en 2009 par le milliardaire russe Sergueï Pougatchev.
L’ex-oligarque russe Sergueï Pougatchev a-t-il obtenu la nationalité française de façon «illégale» en 2009 ? C’est ce que pense une fondation privée basée à Bruxelles, qui demande au Conseil d’État d’annuler son décret de naturalisation. Des «allégations infondées», balaie l’avocate de l’intéressé.
Dans sa requête déposée en novembre 2021, dont l’AFP a obtenu une copie, l’International foundation for better governance (IFBG, Fondation internationale pour une meilleure gouvernance) affirme qu’au moment de sa naturalisation celui qui venait de racheter le fleuron français de l’épicerie fine Hédiard ne «résidait en France ni de façon habituelle, ni depuis cinq années».
Il «ne parlait pas français»
Il «ne parlait pas français» et «n’était en rien assimilé à la communauté française», critères exigés, sauf exceptions, pour obtenir la nationalité française, insiste-t-elle. «Toutes les allégations et les rumeurs sur ce sujet sont infondées», a réagi auprès de l’AFP une avocate de Sergueï Pougatchev, Anne-Jessica Fauré. Alors que le milliardaire mène depuis des années un bras de fer judiciaire avec Moscou, l’avocate voit dans cette démarche une tentative des autorités russes pour porter «atteinte à son honneur». La date de l’audience au Conseil d’État n’est pas encore fixée.
À l’appui de sa demande, l’IFBG cite deux entretiens accordés à des chaînes françaises en 2016 dans lesquelles Sergueï Pougatchev s’exprime en anglais. Elle affirme que ses enfants «ont été éduqués en Russie et au Royaume-Uni» et qu’au cours d’une procédure au Royaume-Uni son ex-épouse a déclaré que le couple vivait «principalement à Moscou entre 1990 et 2011».
«À ce jour, seule la Fédération de Russie a contesté la nationalité française de M. Pougatchev», a répondu l’avocate du milliardaire de 59 ans, estimant que l’IFBG est «un lobby servant manifestement les intérêts de la Fédération de Russie et d’oligarques proches du régime».
«Je me sens ici chez moi»
Dans un entretien publié par «Marianne» en février 2019, l’homme d’affaires qui vit près de Nice mettait en avant ses liens avec la France: «Je me sens ici chez moi. Je m’y suis installé avec ma famille en 1994, après quelques années aux États-Unis. Mes parents sont enterrés ici, ma sœur y vit, mes fils aînés y ont grandi et mes cinq petits-enfants y sont nés».
L’IFBG se présente comme une fondation «visant à défendre les droits des entrepreneurs en Europe et notamment dans les pays de l’Europe de l’est». Dans sa requête, elle explique que si Sergueï Pougatchev a acquis par «fraude» la nationalité française, cela pourrait jeter le discrédit sur les autres «entrepreneurs russes (…) souhaitant faire du commerce en France, s’y établir et, un jour, en acquérir loyalement la nationalité».
Elle estime aussi que ce passeport français a permis à l’oligarque de «quitter illégalement le Royaume-Uni», où il était poursuivi pour des soupçons de faillite frauduleuse de sa banque Mejprombank. «Sergueï Pougatchev a fait fortune de façon illégale, il a été poursuivi en Grande-Bretagne parce qu’il est soupçonné d’avoir spolié les clients de sa banque, et maintenant il jouit de sa fortune en France», a argumenté un porte-parole de l’IFBG auprès de l’AFP.
Ex-«banquier du Kremlin»
Ex-sénateur de Sibérie, un temps surnommé «le banquier du Kremlin» sous la présidence de Boris Eltsine avant de tomber en disgrâce, Sergueï Pougatchev est recherché en Russie pour «escroquerie» et «détournement de fonds». Il a définitivement quitté le pays en 2011.
L’Agence russe pour l’assurance des dépôts (AAD), liquidatrice des avoirs de la Mejprombank, a obtenu de la justice britannique en 2014 le gel de ses avoirs et une interdiction de quitter le territoire. En 2016, la Haute Cour de Londres l’a condamné à deux ans d’emprisonnement pour avoir dissimulé certains de ses avoirs et quitté le Royaume-Uni en juin 2015 sans remettre son passeport français, selon un jugement consulté par l’AFP.