Pandémie50 francs pour une vaccination: injuste, impopulaire, illégal
Pour l’instant, l’idée du Conseil fédéral d’un bon de 50 francs pour récompenser des vaccinations ne séduit pas du tout.
- par
- Renaud Michiels
Donner un bon de 50 francs à une personne qui en aurait convaincu une autre de se faire vacciner contre le coronavirus? Cette mesure imaginée par le Conseil fédéral, dans sa nouvelle offensive pour relancer la vaccination, passe mal, pour l’instant. Les Cantons avaient jusqu’à ce mercredi 6 octobre pour répondre à la consultation. Et le Conseil fédéral tranchera la semaine prochaine. Mais pour ce bon, ça s’annonce mal: il a déjà été jugé injuste, semble impopulaire et serait même illégal.
Impopulaire, d’abord. C’est ce qui ressort de deux coups de sonde menés par «24 heures» et, de l’autre côté de la Sarine, par la SRF. Il ne s’agit pas de sondages représentatifs, mais ils sont tout de même basés sur, respectivement, près de 1000 et 18’000 réponses. Avec un verdict quasi identique de 68% d’avis défavorables pour 26% d’avis positifs, pour le quotidien vaudois. Et de 68% contre 24% du côté de la SRF.
Les Cantons doivent donc rendre leur appréciation aujourd’hui, mais certains ministres de la Santé n’ont pas attendu ce délai pour exprimer leur avis, à l’image de la conseillère nationale argovienne et actuelle présidente de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du National, Ruth Humbel, qui avait dit son scepticisme. Deux conseillers d’État romands se sont aussi positionnés et se sont montrés vraiment hostiles à cette idée de bon.
«Ligne rouge» franchie
Ainsi, le chef de la Santé du canton de Genève, Mauro Poggia, est pour le moins sceptique sur la récompense promise. «Ce n’est pas dans notre culture de rétribuer quelqu’un pour faire son devoir de citoyen», a-t-il tranché pour la RTS. Pour lui, ce bon serait injuste «vis-à-vis de celles et ceux qui ont fait la démarche spontanée dans un élan de solidarité, dès le départ». Et de lancer: «On se vaccine pour soi et les autres, pas pour toucher de l’argent.»
«J’ai bien peur que cette idée coûte une bonne partie de la crédibilité à notre campagne de vaccination», a renchéri le conseiller d’État bernois Pierre Alain Schnegg lundi dans Forum. Pour lui, une «ligne rouge» serait franchie et, demain, «est-ce qu’on va payer quelqu’un qui réalise un test de dépistage contre le cancer?» a-t-il interrogé. Et de conclure que ce système de bons serait aussi un «mastodonte administratif».
Nouvelle loi nécessaire
À ce stade, l’idée semble donc impopulaire et est jugée injuste. Mais elle pourrait aussi être purement et simplement illégale. «Je n’arrive tout simplement pas à trouver une base juridique viable», explique le professeur de droit zurichois Felix Uhlmann dans le «Tages-Anzeiger». Il a examiné de près la loi sur les épidémies et n’y a trouvé aucun article permettant de mettre sur pied ce système de bons. Pour lui, il faudrait nécessairement légiférer. «Avec des dépenses aussi élevées, une base juridique claire est impérative», souligne-t-il, précisant que la mesure pourrait coûter théoriquement jusqu’à 38 millions de francs.
Professeure de droit constitutionnel à l’Université de Fribourg, Eva Maria Belser est du même avis: en l’état, ce serait illégal. «La Constitution fédérale stipule clairement que toute action gouvernementale doit être fondée sur des principes juridiques. Cela s’applique non seulement aux restrictions à la loi et à la liberté, aux impôts et aux taxes, mais aussi expressément lorsque l’État a quelque chose à distribuer», détaille-t-elle.
On le voit, ce projet de bons de 50 francs taxé de «peu conventionnel» par Alain Berset suscite pour l’instant bien peu d’adhésion.