Désinformation: Les climatosceptiques se faufilent dans les revues scientifiques

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DésinformationLes climatosceptiques se faufilent dans les revues scientifiques

Des études trompeuses se glissent dans des revues scientifiques et sèment le doute au sujet du changement climatique, alertent des chercheurs qui citent des articles suspects récents.

Glacier de Soray, au Péru

Glacier de Soray, au Péru

Getty Images/EyeEm

Les chercheurs s’inquiètent du modèle économique de certaines revues qui reçoivent des paiements de la part d’universitaires cherchant à être publiés, sans véritable examen rigoureux par leurs pairs.

«L’explosion récente du nombre de ces «revues prédatrices» crée des problèmes qui sont exploités par les climatosceptiques», affirme Carl Schleussner, membre de l’institut de recherche Climate Analytics. «Cela ouvre la porte à tous ceux qui veulent répandre des travaux douteux.»

«Désinformation»

Une étude parue en novembre 2022 dans le Journal of South American Earth Science, lequel fait payer les auteurs pour être publiés, nie que la fonte d’un glacier péruvien, et le risque d’inondation associé, soient causés par le réchauffement d’origine humaine.

Deux de ses auteurs, le géologue Sebastian Luening et l’ancien chimiste entré en politique Fritz Vahrenholt, sont des anciens responsables de l’entreprise énergétique allemande RWE, laquelle fait l’objet d’une poursuite judiciaire à propos du glacier.

Ils sont aussi connus pour leurs positions climatosceptiques. Contactés par l’AFP, ils n’ont pas répondu.

Le paléoclimatologue Nathan Stansell, de la Northern Illinois University, a vu son travail cité dans l’article de Sebastian Luening. Il affirme à l’AFP que celui-ci est parsemé de «désinformation, de mauvaises interprétations et de biais».

«Il répète un argument discrédité selon lequel, puisqu’il faisait chaud à l’époque médiévale, le réchauffement climatique n’aurait rien d’alarmant», a-t-il déclaré.

«La majeure partie de la communauté des paléoclimatologues estime que les groupes qui tentent de propager cette idée fallacieuse ne peuvent rivaliser avec des données scientifiques solides.»

Deux autres chercheurs cités dans l’étude – Jorge Strelin de l’Université de Cordoba en Argentine et Ben Marzeion de l’Université de Brême – ont également indiqué à l’AFP que leur travail avait été détourné.

Conflits d’intérêts

Elsevier, le groupe qui édite la revue, a affirmé à l’AFP que ses éditeurs «n’ont pas détecté de manquement éthique et que selon eux, les deux groupes de chercheurs sont simplement en désaccord».

Le groupe reconnaît cependant qu’il manque dans l’article une mention des liens entre les auteurs et RWE. «L’éditeur souhaite s’excuser pour tout désagrément causé», indique-t-il.

Un autre article, paru dans la revue Remote Sensing en 2021, a été consacré au glacier péruvien. Se fondant sur des données sur la vitesse de l’écoulement glaciaire, il conclut qu’il n’y a pas de preuve d’une inondation imminente.

Nathan Stansell considère que la partie sur le risque d’inondation aurait dû faire l’objet d’une étude distincte, car elle «paraît déplacée et n’a pas de rapport direct avec les résultats principaux».

Un article publié en 2022 par le média d’investigation Source Material avance que l’étude avait été financée par RWE. Les auteurs, qui dans cet article affirment avoir travaillé gratuitement, n’ont pas répondu à l’AFP.

Guido Steffen, porte-parole de RWE, a nié tout rôle de la société dans ces deux études et leur financement.

«Camelote»

En septembre 2022, d’éminents climatologues ont demandé le retrait d’une étude qui prétendait que la crise climatique n’était pas prouvée scientifiquement.

L’article, rédigé par quatre chercheurs italiens et évalué par des pairs, est paru dans la revue European Physical Journal Plus, du prestigieux éditeur Springer Nature.

Quatre chercheurs ont indiqué à l’AFP que l’étude manipulait des données et était sélective dans les données retenues. Springer Nature a réagi en ajoutant un avertissement à l’article et en annonçant qu’il menait une enquête. Un responsable de Springer a indiqué en mars à l’AFP que l’enquête était «toujours en cours».

L’évaluation par les pairs, un fondement du système de rigueur scientifique par laquelle les articles de recherche sont évalués par un comité de lecture composé de plusieurs scientifiques indépendants des auteurs, est censée asseoir la réputation des publications les plus prestigieuses.

Mais le niveau a baissé avec la multiplication des publications sur internet, avancent certains.

Ivan Oransky, cofondateur de Retraction Watch, un site répertoriant les retraits d’articles académiques, dit à l’AFP que des auteurs cherchent à faire publier des travaux douteux dans des revues dont le système d’évaluation par les pairs serait défaillant, avec des comités de lecture non qualifiés.

Selon lui, «l’évaluation par les pairs laisse passer beaucoup de camelote. Il est grand temps que tout le monde l’admette, pour que l’on puisse mieux faire.»

Dans certains cas, «les climatosceptiques deviennent très sournois», ajoute Nathan Stansell. «Ils glissent dans leurs études des éléments qui n’ont rien à voir avec le sujet, pour pouvoir y faire référence plus tard».

(AFP)

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