Gaëlle Bardosse, juge d'instruction: «Cette infime goutte de sang de Maëlys, je n’oublierai jamais»

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Témoignage«Cette infime goutte de sang de Maëlys, je n’oublierai jamais»

La juge française Gaëlle Bardosse, qui a instruit l’affaire durant quatre ans et coincé Nordahl Lelandais, se confie pour la première fois.

Evelyne Emeri
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Evelyne Emeri
Février 2018, Nordahl Lelandais vient d’avouer son crime. Devant la salle des fêtes de Pont-de-Beauvoisin (Isère/F) se dresse un sanctuaire à la mémoire de Maëlys, 8 ans, enlevée et tuée en août 2017 lors d’un mariage.

Février 2018, Nordahl Lelandais vient d’avouer son crime. Devant la salle des fêtes de Pont-de-Beauvoisin (Isère/F) se dresse un sanctuaire à la mémoire de Maëlys, 8 ans, enlevée et tuée en août 2017 lors d’un mariage.

lematin.ch/Maxime Schmid

Un an après la condamnation de Nordahl Lelandais à la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans, la juge d’instruction de Grenoble (F) qui a dirigé l’affaire Maëlys raconte ce dossier unique dans la vie d’un magistrat, tant sur le plan personnel que professionnel. Gaëlle Bardosse prend la parole pour dire combien la mort de la fillette, les circonstances de son décès, les dénégations de l’ancien militaire durant six mois et la pression de l’enquête ont transformé sa vie. Sa mission, délicate et complexe, elle estime l’avoir remplie: avoir pu rendre la petite française de 8 ans, enlevée en août 2017 lors d’un mariage, à ses parents, à sa sœur et à ses proches.

«Toujours poli»

«En septembre 2017, à l’issue de sa garde à vue, Lelandais nie. Sur le bouton d’allumage des phares, c’est de l’ADN de contact. Il a l’air sincère et innocent. Durant six mois, il nie encore même quand on lui présente la photo où l’on distingue l’enfant en robe blanche dans son véhicule (ndlr. image de vidéosurveillance). Il est toujours poli: «Bonjour Madame», «Oui, Madame». Il s’adapte. Jamais un mot plus haut que l’autre. Il se maîtrise. Cet aplomb sur le mensonge et sa façon de déformer la vérité, c’est impressionnant». La juge Gaëlle Bardosse s’exprime ce lundi en exclusivité sur les ondes de RTL et dans Le Parisien. C’est sur son insistance que tout va basculer lorsqu’elle exige une nouvelle analyse de l’Audi A3 du suspect numéro un. Qu’elle finira par obtenir.

«La preuve irréfutable»

«Je voulais un complément d’expertise. Ce moment où l’expert m’annonce au téléphone que c’est son ADN, c’est un grand moment. Une goutte de sang, c’est la preuve irréfutable. Là, on a quelque chose. Il a fallu cette infime goutte. Je n’oublierai jamais. Jamais», poursuit la magistrate, Confronté à ces éléments, Lelandais dit qu’il l’a tuée accidentellement, involontairement. Il exprime ses regrets à la famille, envers nous aussi. Il va nous conduire dans le massif de la Chartreuse, il a neigé. On a failli renoncer, il ne savait plus. Il était effondré, il est tombé à genoux en disant qu’il s’excusait, qu’il s’en voulait. Il pleurait. Dans sa tête, il se rend compte de ce qu’il a fait. Il a de l’émotion. Sincère, simulée? Je n’en serai pas juge.»

«Une violence terrible»

«Moins d’une demi-heure après, on avait retrouvé une partie du corps de l’enfant. Un fémur. Il a fallu faire vite. L’idée n’était pas que les parents l’apprennent par la presse.» «Qui les a prévenus?» interroge notre confrère Serge Pueyo en exclusivité pour les deux médias français. «Un gendarme et moi-même. On a fait comme on a pu, c’est délirant.» Plus loin: «Lors de la reconstitution avec un mannequin, je lui ai demandé de refaire les gestes. On ne s’attend pas à une telle violence. On va rester dans un silence sidéré. On est tous interloqués. Il a pu dire qu’il avait porté plusieurs coups mais avec une force d’une violence terrible. Je me souviens du silence. Oui, vraiment. On a eu un sentiment de vérité de ce qui avait pu se passer. Lelandais, il collabore, il n’a pas plus de sentiments que ça».

«Un tourbillon personnel»

Et la juge Gaëlle Bardosse de terminer: «C’est un dossier unique dans une vie. Beaucoup de moments forts, d’adrénaline, d’angoisses, de stress. Malgré tout, on doit garder son sang-froid. Les proches qui vous en parlent. On est vu comme le juge de l’affaire. On s’entend dire «C’est l’affaire de ta vie». C’est un tourbillon personnel et professionnel. On ne peut pas se dire content, satisfait d’être dans ce dossier. Pas possible. Je n’avais jamais connu cette pression, c’était infernal. La presse instruisait, c’était fou. À titre personnel, c’est le soulagement entre guillemets d’avoir pu rendre Maëlys à ses parents. Si ça n’avait pas été le cas, ça aurait été un sentiment de frustration. Me concernant, c’était important».

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