RechercheRévolution à Lausanne dans la création des médicaments
La jeune société ArcoScreen, spin-off de l’EPFL, a mis au point un test qui permet d’économiser des milliards de francs et beaucoup de temps lors des essais de nouveaux traitements.
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Les deux fondatrices d’ArcoScreen, Margaux Duchamp et Thamani Dahoun avec Lucas Yerly, leur ingénieur en recherche et développement.
Alain Herzog EPFLTout nouveau médicament doit être testé avant d’être approuvé et administré. C’est une phase longue et compliquée et qui aboutit souvent à des échecs. Cela représente beaucoup de temps et d’argent perdus. Mais ce taux d’échecs pourrait bien être considérablement réduit grâce à une toute récente start-up, ArcoScreen, spin-off de l’EPFL, fondée cette année par Margaux Duchamp et Thamani Dahoun. Les deux jeunes femmes ont mis au point un test révolutionnaire qui est capable très rapidement et à une phase précoce des essais de prédire l’efficacité ou non d’un médicament.
Ce test concerne les médicaments qui ciblent les récepteurs couplés aux protéines G (GPCR). 35% des traitements approuvés dans le monde basent leur action sur ces GPCR et il s’agit essentiellement de médicaments pour traiter des maladies telles que le cancer, la maladie de Parkinson ou la maladie d’Alzheimer.
Le défaut des cellules modèles
Les tests actuels de médicaments ciblant les GPCR prennent du temps et nécessitent des investissements élevés dans des robots de manipulation de liquides. Les méthodes actuelles nécessitent quatre dosages successifs pour déchiffrer le mode d’action du médicament, chacun durant plusieurs heures et générant potentiellement des déchets radioactifs. Ce qui empêche l’utilisation de cellules de patients. Elles sont alors remplacées par des cellules modèles approximatives. «Elles sont tellement génétiquement modifiées que certains experts les surnomment cellules Frankenstein», nous explique Margaux Duchamp. Et le fait de ne pas utiliser de vraies cellules va avoir des conséquences souvent négatives dans le reste du processus.
Car une fois que l’on a vu que le médicament avait l’effet voulu sur ces cellules in vitro, on vérifie ensuite cet effet en phase préclinique sur des animaux ou des cellules d’animaux. Si tout se passe bien surviennent alors les premiers tests sur l’homme, visant à déterminer une toxicité et des effets secondaires éventuels. Si rien de néfaste n’est constaté, on passe à la phase suivante, toujours sur l’homme, pour trouver le juste dosage à administrer. Et c’est là que 60% des nouveaux médicaments ciblant les GPCR échouent!
700 millions de perdus par molécule
Parce qu’ils ont été testés sur des cellules modifiées, ces médicaments n‘ont pas le même effet sur de véritables cellules de patients. Le dosage nécessaire pour être efficace se révèle souvent beaucoup plus (et donc trop) massif. Ces échecs ont des conséquences énormes, puisque chaque molécule ainsi abandonnée représente 700 millions de francs de frais de recherche perdus et cinq ans de temps!
Or ArcoScreen est parvenu à mettre au point un test efficace dès cette toute première phase des essais, car il permet notamment d’utiliser dès ce stade de véritables cellules de patients. Baptisée SynScreen, cette méthode utilise une puce microfluidique, permettant un dosage entièrement automatisé et la réalisation des quatre tests nécessaires à la fois. Les résultats sont en outre très rapides: seulement 15 minutes.

La puce microfluidique permet de réaliser simultanément les quatre tests nécessaires pour juger de l’action d’un médicament et non pas l’un après l’autre.
Lucas Yerly ArcoScreenEn fait, ce que permet surtout SynScreen, c’est d’écarter d’emblée à ce stade tout médicament qui n’a pas une efficacité suffisante. Ne conserver que les médicaments ayant le meilleur potentiel pour agir sur une cible précise permettrait ainsi d’économiser jusqu’à 2,45 milliards par cible en phase clinique. Autant dire que cela devrait intéresser toute entreprise pharmaceutique et les labos de recherche.
Plusieurs prix décernés
Le potentiel d’ArcoScreen n’est pas passé inaperçu puisque la société a déjà reçu trois distinctions de poids: le prix Isabelle Musy décerné à Margaux Duchamp en janvier 2021 (50 000 francs), l’Innogrant en juin dernier (100 000 francs) et Venture Kick, qui soutient le lancement de start-up suisses, lui a attribué 150 000 francs le 25 août dernier. Des sommes qui vont permettre à cette petite équipe de quatre personnes de s’étoffer et d’accélérer la mise au point de son procédé.
ArcoScreen est en fait la fusion réussie du talent de ses deux fondatrices, Thamani Dahoun qui a mis au point le test grâce ses connaissances en biologie moléculaire et Margaux Duchamp qui a trouvé comment le réaliser via la puce microfluidique. «Il y a actuellement une forte demande industrielle pour le produit SynScreen aussi bien en Europe qu’aux États-Unis».
Et gagner un temps précieux (et de l’argent) dans la recherche de médicaments permettra en outre de consacrer ces ressources économisées à la découverte d’autres traitements et ainsi de faire progresser la science et la médecine plus efficacement.