InterviewMathieu Jaton: «En 2023 à Montreux, on est revenu à un stress normal»
Après deux ans de Covid et une édition 2022 où le personnel et les infrastructures manquaient, le directeur du Montreux Jazz Festival retrouve l’excitation qu’il connaît. Avant de futurs bouleversements.
- par
- Laurent Flückiger
Jour J pour le Montreux Jazz Festival. Simply Red ouvrira la 57e édition ce vendredi soir, Nile Rodgers & Chic la clôtureront le samedi 15 juillet. Durant deux semaines, la fête devrait de nouveau être belle au Stravinski, au Lab et dans tous les lieux gratuits de la manifestation. Fidèle au poste, le directeur, Mathieu Jaton, nous livre son sentiment, ses envies et ses projets.
Comment vous sentez-vous juste avant le lancement de cette 57e édition?
Il y a beaucoup d’excitation, l’envie d’y arriver enfin. Évidemment, il y a toujours des petits imprévus de dernière minute mais rien à voir avec 2022. Souvenez-vous: on a tous vécu des mises en place de festival extrêmement compliquées, avec des manques de personnel et d’infrastructures. Les prix ont continué d’augmenter, mais ce n’est pas une surprise, on a pu travailler dessus en amont. Là, on revient à un stress normal. (Rires.)
On reparle ces derniers jours dans la presse de l’explosion des cachets des artistes. Comment s’en sort Montreux?
Il faut préciser que ce n’est pas toujours le cachet de l’artiste – l’argent qu’il met dans sa poche – qui est plus cher, mais la production. Il y a un double effet. Les artistes tournent plus, donc deviennent moins rares et ont besoin d’avoir toujours plus de prod dans leurs concerts, plus de matériel, plus de monde sur les routes. Et avec la crise énergétique, tout coûte davantage. Mais il y a parfois des groupes que je vois arriver avec de telles prods, je me dis: «Par rapport à votre musique, à quoi ça sert?» Cela fait plus de quinze ans que Montreux fait face à la problématique des cachets, ce n’est pas nouveau pour nous.
Depuis que le marché du disque s’est effondré.
Voilà. On a toujours eu une petite capacité et une incapacité à payer certains cachets. Il y a une limite à laquelle on s’arrête. Mais on peut compter sur la magie de Montreux, les artistes aiment venir dans ce cadre et changent leur prod. On fait aussi un gros travail sur les hébergements avec le soutien des hôteliers et de l’Office du tourisme de Montreux. L’exceptionnel du Montreux Jazz Festival, c’est qu’un artiste y reste plusieurs jours. Et c’est un peu la rançon de la gloire, certains restent presque deux semaines! (Rires.) C’est le cas de Jon Batiste qui répète durant huit jours parce qu’il fait un projet unique. On essaie de préserver l’exceptionnel dans un marché qui est très compliqué, et on voit que ça marche.
La soirée d’ouverture, avec Simply Red au Stravinski, a aussi bien marché, en affichant très vite quasi complet. Comment vous l’expliquez?
Oui, dans l’ordre, les soirées qui sont parties en premier sont celles avec Bob Dylan, Norah Jones, Lionel Richie et Simply Red. C’est un double plateau avec Tom Odell, ce sont deux artistes qui attirent deux générations différentes. Et Mick Hucknall a une grande histoire avec le festival, il y a fait des projets spéciaux, est venu en guest avec Quincy Jones, avec Ahmet Ertegün aussi. Les billets pour les artistes qui ont attachement pour le public de Montreux partent toujours plus vite.
A contrario, la soirée avec Lil Nas X, le mardi 4 juillet, qui est pourtant une star, n’a pas affolé les compteurs.
La vente n’a pas été aussi rapide qu’on l’imaginait, mais là ça va bien. C’est typiquement le genre de concert qui se vend sur un public qui achète plus tard quand arrive le festival. Comme celui de Maluma (ndlr.: le 11 juillet au Stravinski): on n’arrête pas d’en vendre depuis une semaine, alors que c’est parti tranquille. On a le même cas au Lab. C’est peut-être le côté latin, hip-hop.
N’oublions pas le programme gratuit du Montreux Jazz Festival. Un coup de cœur?
Aime Simone (ndlr.: jeudi 6 juillet au Lisztomania), un artiste qu’on a invité à Villars au MJF Spotlight Sessions. C’est mon chouchou de l’année, aussi bien pour sa personnalité que pour sa musique. Et je ne manquerai pas le workshop de Marcus Miller (vendredi 14 juillet), qui est génialissime et tellement généreux.
L’édition 2023 est la dernière dans les murs du centre des congrès 2m2c avant de gros travaux. Si tout va bien vous y serez déjà de retour en 2025?
Tous les travaux de la Ville ont en effet été planifiés pour que le festival ne soit hors murs que durant une édition. Ce n’est pas si terrible! Après les années Covid et les changements qu’on a dû faire, ça devrait aller. (Rires.) Il y a une différence entre devoir penser à un déménagement pour plusieurs années et réfléchir à un projet fou sur une édition. En plus, en 2025, il va falloir se réapproprier le bâtiment avec toutes les terrasses connectées entre elles et couvertes, des escaliers des deux côtés, des accès différents. C’est un outil de travail qui va nous changer la vie. On devra réinventer le festival, et c’est superexcitant.