États-UnisDouble suicide assisté en Suisse: elles étaient «fatiguées de la vie»
Les deux sœurs américaines ne souffraient pas de pathologies importantes. Mais elles étaient décidées à en finir, ensemble.
- par
- Renaud Michiels
Deux sœurs de l’Arizona ont obtenu un suicide assisté en Suisse, le 11 février à Liestal, dans la région bâloise. Elles n’avaient rien dit à leurs proches et ces deux femmes de 49 et 54 ans ne semblaient pas atteintes dans leur santé, ce qui a suscité un fort écho international. Mais elles étaient «fatiguées de la vie», apprend-on.
Il s’avère que Lila A., 54 ans, et Susan F., 49 ans, avaient d’abord approché Exit International, a expliqué son directeur, Philip Nitschke, à «The Independent». Et ce dès septembre 2020. Cette fondation basée en Australie soutient le droit à l’euthanasie ou au suicide assisté et divulgue des conseils.
«L’explication était qu’elles n’allaient pas bien à 100%. Elles se plaignaient de ce qu’on pourrait appeler des frustrations. Disques effondrés, maux de dos chroniques, insomnies chroniques, vertiges. Elles avaient toutes les deux décidé qu’elles étaient fatiguées de la vie et qu’il était temps de partir. Ce qui était très clair, c’est que mourir ensemble n’était pas négociable, c’était très important pour elles», a détaillé le Dr Nitschke dans le quotidien britannique, ajoutant que les sœurs avaient vécu une «période troublée».
«Pas en phase terminale»
Les sœurs craignaient que leur état ne permette pas d’obtenir un suicide assisté mais Philip Nitschke leur avait conseillé de s’adresser à Pegasos, une société de Bâle-Campagne active dans le suicide assisté. Elles comptaient s’y rendre pour leur dernier voyage début 2021 mais n’ont pas pu le faire à cause de la pandémie de coronavirus.
«Pegasos a été choisi parce qu’aucune des deux n’était en phase terminale», indique un communiqué cosigné par Pegasos et Exit International publié dimanche.
«Les deux sœurs ont fait l’objet d’un examen médical en Suisse et leur capacité mentale à prendre une telle décision a été évaluée par des professionnels indépendants. L’Association suisse Pegasos s’engage à garantir que les adultes capables de discernement puissent exercer leur droit à une mort autodéterminée et humaine. Après de minutieuses clarifications et dans le cadre des règles officielles, nous accompagnons respectueusement les personnes souffrant de souffrances insupportables dans leur dernier voyage», a écrit Reudi Habegger, directeur de Pegasos, précisant qu’il ne pouvait pas commenter davantage des cas individuels.
«Je suis dévasté»
Lila A. et Susan F. avaient un grand frère, Cal, 60 ans, qui vit à New York. Il n’avait pas vu ses sœurs depuis des années mais leur parlait régulièrement au téléphone. Il était effondré et abasourdi quand il a appris la mort de ses sœurs et la manière choisie pour en finir.
«Je suis totalement dévasté et je ne sais pas pourquoi elles ont fait ça», a encore déclaré ce sexagénaire au «New York Post». «Elles étaient si secrètes, surtout avec moi. Mais quelqu’un peut-il me dire ce qui s’est passé? Est-ce que les gens craquent comme ça? Vous vous réveillez un jour et vous n’avez plus l’impression que la vie est précieuse?» Le New-Yorkais a précisé qu’il veut comprendre, qu’il «ne s’arrêtera pas» tant qu’il n’obtiendra pas les réponses qu’il cherche.
Règles disparates
Les règles suisses sur le suicide assisté doivent sembler peu compréhensibles depuis les États-Unis. Et il faut admettre qu’il existe un certain flou en la matière. La loi dit simplement que la personne qui aide ne doit pas être poussée par un «mobile égoïste». Il est également obligatoire que la personne qui veut en finir doit avoir son discernement et s’administre elle-même la dose létale. Le reste est bien plus disparate.
À Exit Suisse romande, il faut être membre et domicilié en Suisse pour obtenir un suicide assisté. Qui est possible pour «les individus atteints d’une maladie incurable, de souffrances intolérables ou de polypathologies invalidantes liées à l’âge.» Les polypathologies invalidantes liées à l’âge peuvent désigner beaucoup de choses différentes. Ce peut-être par exemple une personne âgée perdant la vue, souffrant d’arthrose, perdant de sa mobilité et estimant que sa qualité de vie est trop détériorée.
Dans la plupart des structures alémaniques, un étranger peut obtenir un suicide assisté. Et les critères sont parfois plus larges qu’en Suisse romande. Pegasos affiche ainsi clairement sa philosophie en ouverture de son site web. «Pegasos pense que c’est le droit humain de tout adulte rationnel et lucide, quel que soit son état de santé, de choisir la manière et le moment de sa mort.» Il n’est ici pas fait mention de maladies.
En cas de litige, pour les cas limites, c’est aux tribunaux de trancher. Celui de Lila A. et Susan F. peut sembler troublant. Le parquet de Bâle-Campagne avait cependant confirmé que ces deux suicides assistés avaient eu lieu dans le «cadre légal» suisse.