CanadaTrappeur, un «héritage» qui ne rapporte plus
Le plus vieux métier du Canada se heurte à une baisse de la demande et des prix des fourrures. Et l’invasion russe de l’Ukraine l’oblige à lorgner les marchés asiatiques.
En équilibre sur un barrage, Ray Gall, trappeur canadien, avance avec précaution: il vient récupérer sa prise du jour, un gros castor noir coincé dans son piège posé deux jours plus tôt. Désormais, rares sont ceux qui vivent uniquement grâce aux revenus de cette activité ancestrale, très encadrée aujourd’hui. Mais ils sont plusieurs dizaines de milliers, dont de nombreux autochtones, encore actifs au Canada.
«C’est le plus vieux métier» au Canada, explique fièrement Ray Gall, bouc et lunettes noires sur le nez, qui trappe, sur son temps libre, rat musqué, renard, loup, coyote à trois heures au nord de Toronto… «Il y aura toujours besoin de trappeurs, que le marché soit là ou non», ajoute-t-il avant d’emporter avec lui l’épais castor, à l’abri dans un tonneau attaché sur son dos.
«Financièrement parlant, de plus en plus difficile»
Réduction des espaces, hivers plus tardifs dus au réchauffement climatique, hausse des prix de l’essence et baisse de ceux de la fourrure… «Piéger est, financièrement parlant, de plus en plus difficile», renchérit Tom Borg, trappeur autochtone de 70 ans, retraité du secteur gazier. «C’est dur, car cela fait partie de notre héritage, de qui nous sommes. Arrêter, c’est comme vous enlever une partie de vous», confie, les yeux embués derrière ses lunettes rectangulaires, l’homme originaire du nord de l’Ontario.
Globalement, le marché tangue depuis quelques années, mis à l’épreuve par le boycott de la fourrure par de nombreuses marques de luxe, l’absence d’acheteurs chinois avec la pandémie et, récemment, la guerre en Europe qui a encore compliqué la donne – la Russie et l’Ukraine étant deux marchés clés. Mais le pire est passé pour l’industrie, qui s’est «stabilisée» après avoir atteint «le point le plus bas du cycle», veut croire Robin Horwath, président de l’Institut de la fourrure du Canada et directeur de la fédération des trappeurs de l’Ontario.
Le plus grand producteur au monde
Le Canada est le plus grand producteur de fourrures sauvages au monde: en 2019-2020, 415’000 d’entre elles ont été vendues pour une valeur de 13,8 millions de dollars canadiens (10,2 millions de francs). À l’intérieur de la dernière grande foire de la fourrure en Amérique du Nord, Fur Harvesters Auction (FHA), à North Bay, à 350 km au nord de Toronto, les courtiers s’activent avant des enchères en ligne, pandémie oblige.
Dans ce vaste entrepôt, des dizaines de milliers de fourrures d’animaux sauvages – lynx, renards, loups, ours noirs, etc. –, sont attachées en lots et suspendues à des portants, triées par grandeur, couleur et qualité.
Catalogue et crayon à la main, le courtier Michel Roberge devient les yeux et les mains de ses clients étrangers, pour qui il inspecte avec minutie chaque peau avant l’ouverture des enchères en ligne. «Vu que c’est un marché de luxe, naturellement on est touchés en premier» en cas de crise. «Le monde peut survivre sans un morceau de fourrure», explique ce marchand montréalais.