FootballChristian Constantin: «Moi, j’aurais rappelé Petkovic»
Alors que l’ASF a décidé de continuer avec Murat Yakin, comment des présidents de club, placés dans la même situation, auraient-ils traité pareil cas? LeMatin.ch leur a posé la question.
- par
- Nicolas Jacquier
Stop ou encore? Fallait-il oui ou non continuer l’aventure avec Murat Yakin? Le verdict est tombé en ce début de semaine, plus tôt que ce qui avait été annoncé. En renouvelant sa confiance à un sélectionneur décrié, l’ASF a choisi de miser sur la stabilité, peu importent les critiques affectant l’équipe et celui qui en a la responsabilité. Face à une décision généralement aussi impopulaire qu’incomprise, le timing même interpelle. Alors qu’il était initialement prévu de tirer le bilan de la campagne de qualification après le tirage au sort de l’Euro seulement, tout s’est précipité en l’espace de quelques jours, bien avant de monter dans l’avion pour Hambourg où la Suisse connaîtra son sort ce samedi en début de soirée.
Comment en est-on arrivé là? La communication de l’ASF n’a laissé filtrer que quelques bribes. Face à la relative stupeur suscitée par ce statu quo, comment des présidents actuels ou anciens, habitués à prendre des décisions au quotidien, auraient-ils agi? Comment le cas Yakin aurait-il été traité à Sion, Lausanne et Neuchâtel? C’est ce que Le Matin.ch a demandé à Christian Constantin, Alain Joseph et Jean-François Collet.
Christian Constantin n’a pas été surpris de la décision de l’ASF de maintenir Murat Yakin à son poste. «On n’a pas une Fédération de gestion de vents contraire… Ce n’est pas là-bas que je vais trouver les saumons qui nagent à contre-courant! On a une Fédé qui a multiplié les dépenses pour l’équipe nationale. En retour, on ne voit rien du rendu de ces dépenses.»
L’histoire du mari cocu
Comment le boss du FC Sion aurait-il traité le cas du sélectionneur? «J’aurais d’abord évité de laisser la situation se détériorer à ce point. En discutant de manière frontale et sincère avec Murat afin d’éviter les non-dits. Cela a-t-il été fait? J’en doute. On a des gens qui prennent des salaires de patron mais qui rechignent à faire le boulot de patron. Si les joueurs ne font pas ce que Yakin leur demande, c’est un problème. Si l’entraîneur ne leur dit rien, c’est aussi un problème. Je reproche à Murat de ne pas assez travailler et de ne pas s’impliquer suffisamment. Dans cette affaire, on est un peu dans l’histoire du mari cocu à qui l’on demande d’aimer sa femme comme au premier jour.»
À la place des dirigeants helvétiques, CC aurait choisi une option plus radicale. «Moi, sentant Murat désabusé, j’aurais rappelé Petkovic pour savoir s’il était partant pour conduire une mission courte jusqu’à l’Euro. Je me serais appuyé sur Vlado pour mener la Suisse en Allemagne.» Après l’humiliation subie contre le Portugal au Mondial qatari, le boss du FC Sion avait déjà suggéré de jouer la carte de l’ancien sélectionneur. «Moi, si j’étais à l’ASF, j’appellerais Vladimir Petkovic, parce qu’avec lui, la Suisse savait où elle allait et comment», écrivait CC en décembre passé dans la chronique qu’il tenait alors dans Le Matin Dimanche.
Ce faisant, Constantin n’aurait pas définitivement abandonné aujourd’hui la piste Lucien Favre. «Mais avec Lucien, précise-t-il, il aurait sans doute fallu plus de temps pour espérer le convaincre.»
Aux yeux d’Alain Joseph, la gestion du dossier Yakin évoque toute la complexité, et parfois l’ambiguïté, d’un cas perçu différemment suivant de quel côté l’on se trouve. «Je vois bien que les éléments extérieurs visibles pour les fans amènent à penser qu’il aurait fallu arrêter avec Yakin. Le Café du Commerce n’a pas dû sauter de joie en apprenant la nouvelle… Or selon moi, garder un entraîneur est une décision plus forte que d’en changer, dès l’instant où tout le monde attend que l’on s’en sépare.»
Pour l’ancien homme fort du LS, la responsabilité de ce choix incombait aux seuls dirigeants. «Savoir ce qui se passe exactement à l’intérieur de la maison suisse leur appartenait. Je serais curieux de savoir les arguments qui les ont conduits à arrêter concrètement une telle décision…»
Seul contre son comité pour sauver Celestini
Le fait de continuer l’aventure avec Murat Yakin pose plusieurs questions. «Les dirigeants n’ont-ils pas changé de sélectionneur parce que c’est dans leur ADN d’agir ainsi? L’ont-ils fait par faiblesse? Si Murat Yakin n’était plus l’homme de la situation, qui aurait pu l’être pour faire mieux? J’ose espérer que ce n’est pas un aspect purement financier qui les a guidés. L’enjeu est bien plus important que six ou douze mois de salaire.»
À la Pontaise, Alain Joseph avait été plusieurs fois confronté à ce type de décision. «J’ai notamment le souvenir d’une période où tout mon comité avait été d’avis qu’il fallait changer Fabio (ndlr: Celestini). Parce que j’estimais qu’il demeurait l’homme de la situation malgré plusieurs revers, j’avais décidé seul de le garder. Plus récemment, regardez ce qui s’est passé avec Magnin… Il y a 2 mois, nombreux pensaient qu’il fallait s’en séparer. Ineos a tenu bon avec les résultats que l’on sait six matches plus tard.»
Plus que les résultats mitigés, c’est la personnalité ombrageuse de Yakin dont il a souvent été aussi question. «On n’a pas le droit de juger sur des images. Moi, en tout cas, je n’aurais pas envie que l’on me juge sur mon air. D’une façon plus globale, il ne sert à rien d’envisager un changement de coach si vous n’avez pas déjà dans la manche celui qui peut vous faire douter.»
Président de NE Xamax, Jean-François Collet s’interroge sur la nature des choix liés au cas Yakin. Ne connaissant pas les tenants et aboutissements du dossier, le boss de la Maladière a cependant bien conscience de marcher sur des œufs. «Il y a ce que l’on entend et tout ce que l’on ne sait pas, observe-t-il. On me rapporte plein de choses. Depuis le départ de Petkovic, il y aurait eu beaucoup de relâchement dans le staff. Or quand vous avez des joueurs qui, dans leur club respectif, sont confrontés à ce qui se fait de mieux, il faut que l’encadrement suive et soit lui aussi au top. Parce que sinon…»
Dans ces conditions, comment espérer y voir vraiment clair? «De deux choses l’une, répond notre interlocuteur. Soit ce que l’on dit est vrai et continuer dès lors avec Murat Yakin représente une erreur. Soit la vérité est tout autre et il me semble normal de poursuivre avec lui, dès l’instant où l’objectif qui lui était assigné a été atteint. Terminer derrière la Roumanie n’est pas un scandale en soi. Murat a désormais 6 mois pour corriger les choses.»
Le poids de Dominique Blanc
Pour l’ancien dirigeant du LS, la décision de Dominique Blanc a été primordiale au moment de la pesée d’intérêts. «Dès l’instant où le président de l’ASF s’était engagé publiquement à aller à l’Euro avec Yakin, il était compliqué pour lui de revenir en arrière en se déjugeant. Tami a-t-il été désavoué? La vraie question est peut-être de se demander pourquoi, à l’époque, Murat Yakin avait été nommé…»
Dans tous les cas, une certitude demeure: la Suisse de Yakin est désormais moins aimée qu’elle ne l’était voici encore une année. Peut-être parce qu’elle ne dégage tout simplement plus grand-chose, sinon rien, et que ses fans ne parviennent plus vraiment à s’y identifier. C’est contre ce désamour-là, qui est d’abord celui du Café du Commerce, qu’il lui faudra lutter en priorité en 2024.