Caroline Polachek: «Beyoncé m’a dit que ma chanson était incroyable»

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InterviewCaroline Polachek: «Beyoncé m’a dit que ma chanson était incroyable»

La sensation pop était au Montreux Jazz Festival, lundi 3 juillet. L’occasion de parler avec elle de son côté diva, de son dernier album et de sa collaboration avec Queen B.

Fabio Dell'Anna
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Fabio Dell'Anna

Elle est née à New York, a vécu au Japon pendant cinq ans et même en Belgique à ses 19 ans. Sa culture ne connaît pas les frontières, tout comme sa musique. Caroline Polachek, 38 ans, aime expérimenter. Son album pop «Desire, I Want To Turn Into You» est déroutant à chaque nouvelle piste. On y entend de la cornemuse, de l’electro, des sonorités grecques ou encore des sons des années 80. «J’aime changer les codes», nous dit-elle dans un hôtel montreusien lundi 3 juillet, à quelques heures de son concert au Lab. Show qui a électrisé son public par sa voix hantée et ses mouvements minimalistes, mais toujours sexy.

Lunettes de soleil et casquette sur la tête, celle qui a notamment collaboré avec Beyoncé, Sébastien Tellier ou encore Christine and the Queens nous parle de son dernier album qui s’est classé 13e aux États-Unis. «Je peux répondre en français», nous dit-elle avant d’ajouter: «J’ai habité pendant un an à Bruxelles et j’aime beaucoup cette langue.»

Votre album «Desire, I Want To Turn Into You» rencontre un gros succès aux États-Unis. Comment est né ce projet?

Je pensais à cet album lorsque j’écrivais le précédent, «Pang». J’avais composé le morceau «Welcome To My Island» qui résonnait d’une manière totalement différente du reste du disque. C’était beaucoup plus stupide, mais c’était intentionnel car je considère ce titre très insolent et primaire. Et évidemment plus rythmé. On y retrouvait des paroles abstraites et énormément de changements de codes. La chanson n’avait pas sa place sur «Pang» et il a formé le départ de «Desire, I Want To Turn Into You».

Quel était votre but avec ce disque?

J’ai commencé cet album pendant la pandémie. Je pensais surtout à l’héritage des anciens artistes qui créaient des œuvres en période de chaos. Par exemple, en pensant au Vésuve ou à d’autres catastrophes naturelles, aux migrations ou à la famine… Le rôle du chanteur est de nous ramener à la sensualité, à l’humour et à la convivialité. Je voulais que toutes les chansons de cet album suivent en quelque sorte cette directive.

Vous n’avez aucune limite: on retrouve de la cornemuse sur «Blood and Butter», un style grec sur «Sunset» et de l’electro-pop avec «Welcome To My Island».

En ce qui me concerne, l’idée de rester dans une seule palette me semble un peu anachronique. J’aime les albums dont l’univers est très restreint, et j’ai déjà réalisé des albums de ce type. Mais, cette fois-ci, je voulais exprimer ce sentiment de trop-plein, de débordement. Je me souviens que, lors de l’été 2021, j’étais en tournée avec mon précédent album, tout en écrivant l’actuel. En studio, tout était fragmenté et découpé. Chaque chanson avait son propre petit monde et j’ai dû m’habituer à cette idée. Au début, je luttais contre cela. Je me disais: «Non! Il faut que tout soit plus cohérent.» Et un jour, j’ai compris que c’est exactement ce sentiment de perte de contrôle que je recherchais.

«Je me considère un caméléon qui a de nombreux personnages et attitudes»

Caroline Polachek, chanteuse

Dans le titre «I Believe», vous prenez des airs de diva vocalement. C’est voulu?

Je suis ravie que vous utilisiez le mot diva pour qualifier cette chanson. Cette mélodie a vraiment été écrite dans ce but. C’est une sorte d’explosion pour une diva d’opéra. Quand je l’ai composée, la plupart des morceaux déjà présents sur le disque étaient à moitié parlés, comme «Bunny Is a Rider» ou «Pretty In Possible». J’avais envie de chanter avec un C majuscule. À l’époque, j’avais une grande obsession pour Céline Dion et je pensais à ces archétypes vocaux de diva qu’on pouvait entendre quand j’étais plus jeune. Il y en a moins de nos jours. D’un point de vue esthétique, cette chanson est une sorte de dédicace à son style. Mais, en même temps, j’étais encore en train de pleurer la perte de mon amie Sophie (ndlr.: la chanteuse est décédée d’un accident en janvier 2021). J’ai voulu dédier ce son à cette musicienne géniale et révolutionnaire. Elle est la diva par excellence. Les couplets font référence à elle. Au final, il pourrait s’agir d’une chanson de réunion, mais également d’adieu. J’aime que ces deux contradictions existent en même temps.

Et vous, vous considérez-vous comme une diva?

Je n’ai pas cinq ou huit octaves. Je n’en ai que trois. Non, je ne me considère pas comme une diva mais plutôt comme un caméléon qui a de nombreux personnages et attitudes avec lesquels je joue.

L’an dernier votre titre «So Hot You’re Hurting My feelings», sorti en 2019, a rencontré un nouveau succès grâce à TikTok. Comment avez-vous réagi?

J’aimerais avoir une explication. (Rires.) Tout est arrivé sans que je fasse quoi que ce soit. Sur TikTok, les gens se sont mis à danser comme dans le clip et ça a décollé. En l’espace de trois jours, j’ai reçu de nombreux messages d’amis me disant: «Caroline, il faut que tu voies ça.» Finalement, j’ai créé un compte pour l’occasion et j’ai réalisé ma propre vidéo. Honnêtement, j’aime que ce réseau social puisse rendre une seconde vie aux chansons, comme pour «Dreams» de Fleetwood Mac.

Vous avez aussi produit et composé le titre «No Angel» pour Beyoncé. Comment s’est déroulée cette collaboration?

C’était vraiment sauvage et très énigmatique. Beyoncé avait à l’époque réservé tout le légendaire studio new-yorkais Jungle City qui appartient à Alicia Keys et Swizz Beats. Il s’agit d’un magnifique bâtiment en verre qui surplombe la rivière Hudson. J’ai été invitée à travailler pour l’album «Beyoncé» pendant deux semaines. Avec mon ami Patrick, nous avons soumis six chansons. Mais l’ironie du sort est que la chanson qui a été choisie n’a pas été composée durant ces deux semaines. J’ai créé «No Angel» plusieurs années avant, à 5 h du matin, dans une chambre d’hôtel, après un show à Londres. Lorsque j’ai rencontré Beyoncé pour la soirée de lancement de son disque, je l’ai remerciée de m’avoir laissé la chance d’écrire pour elle. Elle m’a dit: «Ce n’est pas une question de chance, ce beat est incroyable.» C’est l’un des plus beaux compliments que l’on m’ait fait.

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