Editorial: Départ d’Alain Berset: chapeau l’artiste!

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ÉditorialDépart d’Alain Berset: chapeau l’artiste!

Durant ses douze années au Conseil fédéral, Alain Berset a développé les qualités d’un stoïcien hors norme.

Eric Felley
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Eric Felley
Alain Berset est aussi un ministre de la Culture éclairé depuis près de douze ans.

Alain Berset est aussi un ministre de la Culture éclairé depuis près de douze ans.

Sébastien Anex/Matin Dimanche

On le regrette déjà. Les six mois qui lui restent vont passer vite. La Suisse romande va perdre un de ses plus remarquables politiciens au Conseil fédéral: social démocrate, honnête homme, esprit curieux et artiste dans l’âme, pianiste à ses heures perdues. Sans oublier le pilote d’avion solitaire qui passe les frontières.

Alain Berset a signifié son retrait du Conseil fédéral au lendemain de l’annonce de l’acquittement du procureur spécial Paul Marti. Ce dernier avait mené une enquête à charge contre son collaborateur personnel de longue date Peter Lauener. Il était question d’une fuite dans l’affaire Crypto, puis ce fut une fuite dans des échanges de mail entre son collaborateur et le patron du «Blick» sur le Covid-19. Une fois de plus, ses adversaires se sont déchaînés, en vain, contre le Fribourgeois. Le procureur hargneux a été acquitté. Cela n’a pas dû lui plaire.

Toute la mauvaise humeur du pays

Probablement que cet acquittement n’a pas de lien avec l’annonce de son retrait. Mais il est symptomatique de ce qu’Alain Berset a enduré durant les dernières années de son mandat, où il s’est retrouvé au-devant de la scène pour défendre la politique sanitaire du Conseil fédéral. Toute la mauvaise humeur du pays s’est déversée sur lui, une agressivité récurrente et délétère, qu’il a dû encaisser d’un point de vue politique et privé.

Durant ses douze années au Conseil fédéral, Alain Berset a développé les qualités d’un stoïcien hors norme, un Marc-Aurèle puissance suisse. Paradoxalement c’est son flegme et son impassibilité (représentés par son chapeau Borsalino), qui ont nourri le feu de ses adversaires de la droite dure. Mais il ne leur a jamais donné la satisfaction d’une moindre faille. Aujourd’hui, il annonce son retrait hors de toute polémique, comme si le fiel déversé durant ses années avait eu moins d’effet sur lui que l’eau du robinet.

Conseiller fédéral minoritaire

Sur le dossier des retraites, il a échoué de peu avec son projet Prévoyance 2020. C’est dommage que la fin de son mandat coïncide avec l’augmentation prévue de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. En tant que minoritaire au Conseil fédéral, il a toujours eu conscience des limites de son pouvoir face à ses collègues et un Parlement à majorité bourgeoise. Il ne s’en est jamais caché, tout en jouant le jeu de la collégialité.

Dans le domaine de la santé, Alain Berset a vraiment tenté de trouver des solutions à la hausse des coûts et partant celle des primes. Mais les lobbies ne lui ont jamais facilité la tâche. Au contraire, ils lui ont toujours mis des bâtons dans les roues, lorsqu’il proposait de réduire les parts de gâteaux de chacun: assureurs, pharmaciens, médecins, hôpitaux et autres vendeurs de prothèses. On se demande d’ailleurs qui, après lui, sera capable de reprendre en main ce secteur en surchauffe perpétuelle.

«L’ivresse de la guerre»

Enfin, il faut parler de la guerre en Ukraine. Alain Berset a créé la polémique en mars dernier en dénonçant «la frénésie guerrière, l’ivresse de la guerre». Il avait ajouté: «Il faudra un jour négocier avec la Russie (…) Le plus tôt sera le mieux». Il y a fort à craindre que le conflit en Ukraine ne sera pas terminé d’ici à la fin de son mandat. Mais lorsque l’on voit actuellement les images de la contre-offensive ukrainienne, l’expression «ivresse de la guerre» n’est pas dénuée de sens.

Nul doute qu’Alain Berset, jeune cinquantenaire, trouvera dès 2024 un domaine dans lequel il fera valoir son expérience et ses réseaux. Il est possible qu’il se mette au service de la paix dans le monde, qui en a grandement besoin. À moins qu’il ne décide de se consacrer plus intensément au piano. L’un n’empêchant pas l’autre, tant la musique adoucit les mœurs.

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