FootballAvant les barrages, toute l’Italie est en apnée
Les barrages commencent ce jeudi pour la Nazionale (20h45, contre la Macédoine du Nord). La peur d’un nouveau cataclysme s’installe pour un pays qui a déjà manqué le Mondial 2018.
- par
- Daniel Visentini
Tout ça, c’est la faute de la Suisse! Jusqu’au dernier moment, l’Italie était installée à la première place du groupe C, elle allait filer tout droit au Mondial 2022, directement qualifiée, comme de bien entendu pour un champion d’Europe fraîchement sacré. Logique. Tiens: malgré une superbe prestation des hommes de Murat Yakin à Rome, Jorginho avait même au bout du soulier ce penalty qui devait offrir la victoire et le Qatar aux Transalpins l’automne passé. Mais tout s’est effondré après ce 1-1.
Incapable ensuite de battre l’Irlande du Nord à Belfast (0-0) tandis que la Suisse écrasait la Bulgarie (4-0), l’Italie a terminé deuxième du groupe, condamnée aux barrages. Elle va jouer ce jeudi à domicile contre la Macédoine du Nord: on veut croire que ce premier pas est une formalité. Mais dans le nouveau protocole de qualification, il y a désormais un deuxième barrage qu’il faut gagner aussi. Ce sera face au vainqueur de Portugal-Turquie. Un seul de ces quatre ira au Qatar. Tout s’est crispé autour de la Nazionale, le spectre d’un deuxième mondial raté consécutivement, après 2018, jette un voile sombre sur tous les bonheurs goûtés depuis, jusqu’à l’apothéose en finale de l’Euro, contre l’Angleterre, à Wembley.
Le traumatisme de 2017
On ne peut pas mesurer la peur qui gagne l’Italie sans évoquer le traumatisme de 2017. Ce barrage retour contre la Suède, ce nul qui laisse les Transalpins spectateurs du Mondial russe. Avant, il fallait remonter à 1958 pour une Coupe du monde disputée sans l’Italie.
À vivre sur son passé depuis le triomphe de 2006, repliée sur elle-même, sans remise en question, l’Italie du football trouvait pourtant là une réponse à un malaise profond: une formation médiocre, négligée, des passe-droits pour les joueurs des équipes phares, bref, un déclin qui se dessinait. 2010: élimination au premier tour de la phase finale en Afrique du Sud. 2014: élimination au premier tour au Brésil aussi.
Quand Roberto Mancini est arrivé à la tête de la sélection au printemps 2018, il a dû tout reconstruire. Et il l’a fait avec brio. En se passant de stars, en adoptant une philosophie joueuse, en modernisant tout, en introduisant des jeunes. Il a été tout du long, jusqu’à l’été dernier, le héros de tout un peuple, avec des statistiques ahurissantes (35 matches sans défaite, record). Mais aujourd’hui?
Depuis son échec dans les qualifications - à cause de la Suisse, à cause de Jorginho, à cause de Sommer, à cause d’un essoufflement après les accomplissements -, il a perdu de sa superbe. Et tout le monde tremble en Italie, à l’idée de rater le Mondial 2022. Grandeur et décadence.
Mancini confiant par obligation
Justement: comment Roberto Mancini aborde-t-il ces deux matches couperet? «Je suis confiant, a-t-il assuré il y a trois jours. Car je sais que j’ai de bons joueurs, qui ont construit de nulle part une victoire à laquelle personne, mais absolument personne, ne croyait.» Allusion au succès à l’Euro. On veut bien. L’Italie faisait pourtant partie des grands favoris. Pour ses dix victoires en dix matches lors des qualifications à cet Euro, pour l’avantage de jouer tout le premier tour de la compétition à Rome, aussi.
L’aveu vient ensuite. «La confiance doit repartir de ça, de ce que nous avons fait, a lancé Mancini. Nous avons des bases solides, même s’il faudra souffrir car rien n’est jamais assuré.» La confiance, ou plutôt ici une forme de crise de confiance, est mise en avant. Les lendemains de sacre ne sont pas simples à gérer. Les blessures de certains joueurs, des méformes, tout cela a pesé.
Dans son duel des qualifications au Mondial, archi-dominatrice à Bâle d’une Suisse privée de plusieurs éléments clés, l’Italie s’est contentée d’un nul, Sommer arrêtant tout, y compris un penalty de Jorginho. Un Jorginho qui manquait également le penalty de la qualification à Rome quelques semaines plus tard: l’Italie n’est plus cette machine gorgée de confiance jusqu’à l’été 2021.
Aujourd’hui, c’est à cela que se raccroche Roberto Mancini, à la veille des deux matches de barrage. Signe des temps, lui qui ne se projetait pas avant l’Euro est gagné par les prophéties, comme s’il lui fallait conjurer le mauvais sort à coups de méthode Coué. «Notre objectif est de gagner le Mondial, a-t-il lancé. Mais pour gagner le Mondial, il faut remporter ces deux matches, il n’y a pas d’autres discours à avoir.»
Simple. Simpliste? Un peu des deux. La machine imbattable durant trois ans s’est enrayée. La finale de rêve de cette voie C des barrages est aussi la plus dangereuse: Portugal (qui aura battu la Turquie?) - Italie, le perdant reste à la maison et regarde le Mondial devant sa télé. Pour l’avoir vécu en 2018, les Italiens sont tétanisés à l’idée de le revivre.
«Pas de Mondial? C’est impensable!»
Andrea Maccoppi, ex-LS, ex-SFC, à Chiasso désormais, est un joueur italien qui fait sa carrière en Suisse. Il dit le sentiment de tout un pays. «L’Italie qui ne serait pas au Mondial 2022?, reprend-il avec inquiétude. Mamma mia! Ce serait une catastrophe que je ne peux même pas imaginer, c’est impensable. Nous aurions déjà dû nous qualifier devant la Suisse, même si elle a bien joué, notamment la première période à Rome. Mais franchement, sur ces deux confrontations de l’automne, l’Italie aurait au moins dû en gagner une. Les occasions étaient là, même sans les deux penalties ratés de Jorginho. Au lieu de cela, nous sommes maintenant en barrage. Et depuis quelques jours, on se réveille avec cette peur au ventre…»
La peur du syndrome de 2017 et du barrage contre la Suède, donc. «Oui, c’est ça, soupire Maccoppi. Après le match nul en Irlande du Nord à Belfast, quand on a fini deuxième des qualifications derrière la Suisse, il y a eu cette peur de la malédiction de 2017 en Italie. Puis, cela s’est estompé avec les mois qui passaient. Mais maintenant! Toute l’Italie va retenir son souffle durant les prochains jours.»
Mancini et les siens ont quelques jours pour redonner de l’oxygène à tout un pays. Parce que sinon, le titre à l’Euro gardera un goût amer, malgré la liesse qu’il a déclenchée l’été passé.