Vaud: De la tentative de meurtre à la libération: «Papa, Maman, pardon»

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VaudDe la tentative de meurtre à la libération: «Papa, Maman, pardon»

Une Vaudoise de 23 ans se voit offrir une chance inespérée par la justice. Ses parents qu’elle avait menacés et blessés avec un couteau ont retiré leur plainte.

Evelyne Emeri
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Evelyne Emeri
Mercredi 18 octobre, la jeune détenue réintègre le fourgon cellulaire à la sortie du Tribunal d’Yverdon.

Mercredi 18 octobre, la jeune détenue réintègre le fourgon cellulaire à la sortie du Tribunal d’Yverdon.

lematin.ch/Evelyne Emeri

«Je peux l’embrasser?» Première question entendue dans les pas perdus avant l’ouverture de l’audience mercredi. C’est celle de la maman d’Emilie*. Sa fille arrive au Tribunal correctionnel d’Yverdon (VD), menottée et chaîne aux pieds. Les policiers acceptent. Elles se serrent dans les bras, fort, très fort. Puis son père, puis son frère. Et l’acte d’accusation accablant du parquet de prendre une tout autre dimension. Les larmes coulent déjà. La Vaudoise de 23 ans doit comparaître pour tentative de meurtre, subsidiairement tentative de lésions corporelles graves, pour lésions corporelles qualifiées et pour infraction à la Loi fédérale sur les armes. La procureure Laurence Brenlla et les avocats des parties sont déjà à l’intérieur avec la Cour. En petit comité. On suppute l’accord.

Libre le 25 octobre

Le procès débutera peu après. Sans surprise, l’on apprend que le Ministère public renonce à soutenir la tentative de meurtre, les conditions n’étant pas réunies. L’on apprend surtout que la procureure, la défense et les parents aimants et soutenants d’Emilie – ils ont porté plainte à contrecœur uniquement pour avoir accès au dossier – ont travaillé main dans la main tous ces derniers jours. La représentante du parquet propose d’entrée de cause une peine de 30 mois dont 14 ferme, le solde étant assorti du sursis pendant 5 ans (ndlr. durée maximale). Un arrangement, subordonné à un traitement psychiatrique obligatoire et à l’intégration de la prévenue dans un foyer psychosocial médicalisé durant le temps jugé opportun par les acteurs du réseau. Autrement dit, une libération le 25 octobre, déduction faite de sa détention provisoire et de son exécution anticipée de peine.

«Les plaintes pour qu’elle ait un électrochoc»

Le père d’Emilie*

Il aura fallu cette énième crise au soir du 23 août 2022, cet énième appel au secours d’Emilie en souffrance psychique depuis son adolescence, cette énième tentative de suicide, cette «attaque au couteau» qui n’en était sans doute pas une à l’encontre de ses deux parents et leurs plaintes «pour qu’elle ait un électrochoc», dira son père. Les juges d’Yverdon l’ont bien compris. Le verdict est tombé le jour même. Le Ministère public et les avocats des parties ne voyant plus la nécessité de plaider, le timing s’est accéléré.

L’objectif commun de la justice et des parties est limpide: que la jeune femme, qui souffre depuis des années d’un trouble sévère de la personnalité de type borderline, sorte de détention pour se soigner et montre sa bonne volonté plutôt que d’allonger sa peine et sa punition. Sa pathologie a enfin été diagnostiquée par les experts psychiatres mandaté dans la présente procédure. Ceux-ci concluent en outre à un risque de récidive de moyen à élevé concernant ses accès d’agressivité; risque plus faible en revanche s’agissant du dernier épisode particulièrement aigu de l’été 2022.

Culpabilité lourde

Ainsi le Tribunal d’arrondissement de La Broye et du Nord vaudois, sans surprise non plus, s’est aligné sur la peine soumise par la procureure d’entrée de cause. Ce sera bien 30 mois, dont 14 ferme, avec sursis pendant 5 ans, le foyer médicalisé et le traitement au long cours pour Emilie. «Votre culpabilité est très lourde. Compte tenu de votre responsabilité pénale légèrement diminuée, on retiendra qu’elle est lourde. Il nous restera le doute insurmontable de savoir si vous avez porté un coup de couteau dans le coussin (ndlr. il y a une entaille) que votre père avait saisi pour se protéger la poitrine, note le président Gabriel Hersch, Les deux versions de votre père divergent. Il a d’abord dit avoir été attaqué, aujourd’hui ne pas se souvenir d’un coup de couteau.»

«Vous avez déployé une énergie criminelle»

Gabriel Hersch, président du Tribunal

«Vous vous en êtes pris gravement à l’intégrité physique des êtres qui vous sont le plus proches. Vous avez déployé une énergie criminelle. Vous avez suivi votre père avec un cran d’arrêt hors de la maison, vous l’avez lancé contre lui (ndlr. 11 points de suture au mollet), vous êtes allée le ramasser pour vous en prendre à votre mère, poursuit le président Hersch, Le Tribunal a été passablement choqué que vous lui ayez donné un coup de poing au visage alors que vous teniez dans la même main un couteau avec une lame de 7 cm (ndlr. avant de la blesser au coude/2 points de suture). Cela aurait pu engendrer de graves lésions. Vous ne semblez pas prendre la pleine mesure de votre acte. À décharge, nous retiendrons vos troubles et l’expression de vos regrets.»

Escalade de violence

Emilie écoutera attentivement le jugement et les recommandations de la Cour correctionnelle: «Le temps de l’insertion est venu. Vous allez sortir de prison mais le chemin ne fait que commencer». Elle est du reste très concentrée sur sa personne et se montre très volontaire quant à ses projets de vie: sa thérapie, l’encadrement en foyer, une formation: «J’ai compris la leçon. Je vivais une période compliquée. Je survivais. Chaque mois, je pensais à me suicider, je n’avais pas de projets d’avenir». Ce mardi noir, la Vaudoise a bu la moitié d’une bouteille de Tequila et avalé des plaquettes entières de benzodiazépines. Son père la retrouve par terre dans sa chambre. Avant l’escalade de violence que l’on sait: «Je n’ai jamais voulu faire de mal à mes parents. De base, le couteau, c’était pour l’utiliser contre moi».

«J’étais en colère, ça m’a mise hors de moi»

Emilie*, la prévenue

Alors pourquoi ce déchaînement de violence, de cris, d’insultes? «J’ai entendu mon père dire à ma mère que «J’étais la souffrance de la famille». J’ai eu l’impression d’être le petit canard noir de la famille. J’étais en colère, ça m’a mise hors de moi. Je voulais qu’ils entendent ma souffrance, qu’ils m’écoutent», ajoute l’accusée. Sur les faits: «Je ne me souviens pas du coussin, j’ai comme des flashs, je ne me souviens pas de toute la scène. J’ignore comment il a été entaillé. Quand mon père est sorti, j’ai lancé le couteau vers lui de colère, je ne le visais pas. Pour ma mère, je cherchais à m’enfermer dans la maison, à m’isoler (ndlr. pour en finir). Je suis contente que ça n’a pas été plus grave».

La mort aux trousses

Emilie a écrit une lettre et demandé à la lire en audience. Certains passages ont résonné plus particulièrement: «Je regrette mes actes. Je veux me racheter pour mes parents. Papa, Maman, je vous demande pardon. Je veux rendre ma famille fière». Des paires d’yeux s’embuent. La tragédie – pour tous – a été évitée ce soir-là, vraisemblablement de justesse grâce notamment aux ambulanciers appelés sur place. Elle s’est toujours calmée à leur arrivée. «Le médecin du SMUR m’a dit que si elle n’avait pas vomi, avec les médicaments qu’elle avait pris, elle ne serait plus là», précisera sa maman.

Honorer sa chance

Dans moins d’une semaine, Emilie sortira de prison. Son entrée en foyer n’est pas encore fixée. Durant ce court laps de temps entre sa cellule et son nouveau lieu de vie, elle ira chez sa grand-maman maternelle. Une petite dame merveilleuse qui a bouleversé toute la salle en quelques mots, accrochée à son mouchoir qui épongeait ses yeux. À la sortie, elles aussi se sont tombées dans les bras. Maintenant il reste à sa petite-fille, à cette belle jeune femme de 23 ans d’honorer la chance et la confiance que la justice lui a octroyées. Et de ne pas déraper dans les cinq ans à venir sous peine de retourner sous les verrous.

*Prénom d’emprunt

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