Hockey sur glaceGoran Bezina: «Ça fait plaisir d’entrer dans ce club fermé»
À bientôt 42 ans, le défenseur du HC Sierre a disputé mardi soir à Winterthour son 1000e match en Suisse, National League et Swiss League confondues.
- par
- Chris Geiger
738 matches avec Ge/Servette, 139 rencontres avec FR Gottéron, 121 parties désormais avec Sierre et deux autres avec Viège: le compte est bon pour Goran Bezina. Depuis mardi, le défenseur valaisan compte 1000 apparitions en Ligue nationale. Le Montheysan, 42 ans le 21 mars prochain, a franchi ce cap symbolique avec le sourire, la formation de la Cité du soleil s’imposant à Winterthour (3-5).
L’ancien international helvétique, dix-huitième joueur à atteindre ce seuil en Suisse, s’est confié au lendemain de cette soirée historique. Interview.
Goran Bezina, comment avez-vous vécu ce 1000e match professionnel en Suisse?
Je ne dirais pas qu’il a été marquant d’un point de vue émotionnel. C’était certes mon 1000e match en Ligue nationale en Suisse, mais j’en ai disputé bien plus durant ma carrière (rires). Ça fait évidemment plaisir d’entrer dans ce club fermé et de l’avoir fait en gagnant cette rencontre. Je pense toutefois qu’il y aura plus d’émotions lors du prochain match à Sierre (ndlr: jeudi soir contre Thurgovie) car une cérémonie sera organisée. Une chose est sûre: je ne vais pas oublier ce 1000e match. Je me rappellerai que c’était à Winterthour, sous les couleurs sierroises, celles d’un club qui me tient à cœur.
Vous avez atteint cette barre mythique dans l’anonymat ou presque (357 spectateurs recensés à Winterthour). La preuve que vous jouez avant tout par passion?
Oui, je joue toujours pour les mêmes raisons qu’au début. J’ai toujours le même plaisir de pratiquer ce sport, la même envie d’être dans un vestiaire, d’appartenir à un groupe et de partager des moments avec mes coéquipiers. Certaines motivations ont évidemment changé avec le temps. Quand tu arrives sur tes 42 ans, que tu disputes des matches contre les Ticino Rockets ou Winterthour devant peu de spectateurs, la motivation est forcément différente. Mais c’est aussi là que je vois que j’aime sincèrement ce sport. Quand tu enlèves tous les à-côtés du professionnalisme, à savoir l’argent ou la gloire, il te reste les bases du hockey. Et c’est ce que j’aime.
Cela veut dire que, même dans ces cas de figure, il n’y a pas de lassitude?
S’il y en avait, j’arrêterais. Et si je continue, ce n’est pas parce que je m’embête (rires). Personne ne me met un pistolet sur la tempe et m’oblige à jouer. Je continue car j’ai toujours l’envie et le plaisir de venir à la patinoire. J’ai la chance de jouer au hockey à 41 ans, de m’amuser tous les jours. Je ne continue pas non plus car c’est difficile de dire stop. Non, j’ai simplement la chance qu’un club me donne une opportunité de jouer. De mon côté, je trouve que j’en suis encore capable. Il y a encore assez de temps après pour faire autre chose. Je me dis d’ailleurs souvent: «Joue tant que tu peux jouer.» Car ce sera dur de trouver quelque chose qui me comblera autant que ça.
Vous êtes en fin de contrat au terme de l’exercice en cours. Allez-vous prolonger l’aventure?
On verra à la fin de la saison. Avec les dirigeants, on a toujours dit qu’on allait regarder de saison en saison. D’ici-là, j’espère bien terminer le championnat et rester en bonne santé. Mais ne me souhaitez pas 1000 autres matches (rires).
Justement, revenons à ces 1000 matches. Comment expliquez-vous une telle longévité?
Déjà, il faut avoir l’envie de jouer durant 24 ans. Ensuite, il faut pouvoir le faire. Ça veut dire éviter les grosses blessures et espérer que le corps tienne. Il faut donc une part de chance, mais surtout beaucoup de travail derrière. Il faut que tout s’aligne. Par exemple, j’ai voulu arrêter ma carrière en 2016. Je suis finalement parti à Zagreb, où l’expérience m’a redonné un coup de fouet et une motivation nouvelle. J’ai retrouvé énormément de plaisir sur la glace. Et six ans après, je joue encore. Quand j’ai rejoint Sierre en 2019, c’était pour une saison à la base. J’en suis à ma troisième (rires). Ça se prolonge. J’ai simplement suivi le cours des choses, en me laissant guider. Quand j’ai commencé ma carrière, je ne m’étais d’ailleurs pas fixé d’objectifs liés à l’âge ou au nombre de saisons à atteindre.
C’est avec FR Gottéron que vous avez fêté votre première apparition en Ligue nationale, lors de la saison 1998/1999. Un beau souvenir?
Je dois avouer que je ne me souviens pas du premier match officiel que j’ai disputé avec Fribourg. Par contre, je me rappelle d’un match-test lors duquel je devais me faire ma place, lors duquel les dirigeants devaient décider s’ils allaient me signer ou pas. Finalement, ça a débouché sur une belle aventure avec Fribourg. Durant cette période, la première vécue loin de ma famille, j’ai disputé deux belles saisons aux côtés de Philippe Marquis. J’ai également participé au Championnat du monde juniors, fêté ma première convocation en équipe de Suisse, avant mon départ aux Etats-Unis.
À vos débuts, quel était votre état d’esprit?
Le jeune Goran voulait se faire sa place en LNA. À cet âge-là, je ne regardais pas à moyen ou à long terme. Ce qui m’intéressait, c’était le prochain pas à effectuer, le prochain niveau à atteindre. Quand j’étais à Fribourg, mon objectif était d’abord de me faire une place dans la première équipe. Puis d’aller en équipe nationale et de partir aux Etats-Unis. C’était donc du court terme.
Des attentes surpassées, au point de devenir une idole à Ge/Servette. Votre passage aux Vernets reste-il le plus grand souvenir de votre carrière?
Après avoir passé 15 saisons là-bas, je peux effectivement dire que je suis attaché à ce club. Au fil du temps, il est devenu «mon» club, avec une place à part. Je suis très fier de ce qu’on a pu construire avec Ge/Servette durant toutes ces années, d’en avoir été le capitaine. Je ne garde pas un souvenir en particulier, ni un match ou une saison. Je retiens davantage des rencontres, comme celle faite avec Chris (ndlr: McSorley). Quand on est arrivés, il y avait 3000 spectateurs aux Vernets. En repartant, la patinoire était remplie. Tout ce travail effectué, sur la glace ou en coulisses, a permis au club de grandir. Toutes ces choses me tiennent à cœur.
Il y a forcément eu des moments plus marquants que d’autres durant votre carrière, non?
Oui, j’ai quelques flashs qui reviennent. Il y a évidemment le regret de ne pas avoir décroché le titre national. En 2008, on perd le troisième match de la finale des play-off contre Zurich. On aurait pu mener 3-0 dans la série. En 2010, il y a la désillusion de perdre la finale des play-off au 7e match contre Berne. La même année, on s’incline 1-0 en quart de finale avec l’équipe nationale contre l’Allemagne au Championnat du monde. D’un point du vue plus personnel, je regrette quelques décisions. Par exemple, j’aurais dû mettre mon égo de côté et accepter d’aller aux Jeux olympiques de Sotchi en 2014. Sean Simpson voulait que je vienne, mais il ne me garantissait pas une place de titulaire. J’avais 34 ans, j’étais international depuis plus de dix ans, j’évoluais alors à un haut niveau... Dans ma tête, si j’y allais, c’était pour jouer. Sur le moment, j’étais convaincu que ce n’était pas correct de sa part. Avec du recul, j’aurais dû accepter les conditions du coach. Après Turin en 2006 et Vancouver en 2010, je me disais qu’il y en aurait d’autres…
Au cours de votre carrière, vous avez également évolué à l’étranger (NHL, AHL, KHL…) durant quatre saisons. Sans quoi vous auriez certainement dépassé Beat Gerber et ses 1212 matches en Suisse…
Ces expériences valent plus que le nombre de matches joués. À l’époque, je faisais partie des pionniers quand j’étais parti tenter ma chance aux Etats-Unis (ndlr: en 2001). J’ai un peu aidé à ouvrir le chemin aux suivants. À l’époque, le sélectionneur Ralph Krüger ne voulait pas que ses joueurs partent Outre-Atlantique. Il voulait garder son noyau de l’équipe nationale en Suisse pour l’avoir à sa disposition. Il a fini par reconnaître que ces expériences étaient bénéfiques et changer sa vision. Quand je suis parti là-bas, je ne savais d’ailleurs pas trop où je mettais les pieds. J’étais encore vu comme le petit Suisse. Les gens se demandaient ce que je foutais là-bas. Petit à petit, j’ai dû m’imposer. Avec du recul, j’aurais aimé en faire plus, peut-être davantage crocher comme Mark Streit l’a fait. Il n’a jamais lâché, chapeau à lui.
Concrètement, que vous ont apporté vos passages à l’étranger?
Si je n’avais pas fait trois ans aux Etats-Unis, j’aurais été un autre joueur. Cette expérience a été énorme pour moi. Elle m’a permis de me forger une certaine mentalité pour le reste de ma carrière. J’y ai notamment appris la persévérance, la confiance en soi, la combativité. Ça m’a permis de me forger mon mental, mon caractère car ce n’était pas drôle tous les jours. J’aurais certainement moins développé ces aspects de ma personnalité si j’étais resté en Suisse. Quant à mon passage à Zagreb, il a permis de relancer ma carrière. Ça m’a redonné l’envie. Je n’ai donc aucun regret d’être parti quatre saisons et ne pas détenir le record du nombre de matches disputés en Suisse. En prenant le nombre total de matches joués, j’arrive bientôt à 1500 parties en compétitions officielles. Toutes ces expériences et ces souvenirs restent gravés dans ma mémoire.