Démonstration de savoir-faireBouébot, il touille aussi bien qu’un armailli
Après le Roboclette, la start-up sierroise Workshop 4.0 a conçu un robot capable de préparer une fondue moitié-moitié de A à Z. On y a goûté!
- par
- Christophe Pinol
«C’est quoi une fondue?» se demandait Obélix dans l’album «Astérix chez les Helvètes». «Probablement une sorte d’orgie locale», lui rétorquait son complice de toujours…
Cette question, Bouébot, le robot de la start-up sierroise Workshop 4.0, se l’est probablement posée avant d’apprendre à préparer notre spécialité nationale et rivaliser ainsi avec le savoir-faire fribourgeois. Conçu en partenariat avec le Gruyère AOP, le Vacherin Fribourgeois AOP et Terroir Fribourg, l’engin est effectivement capable de cuisiner une parfaite moitié-moitié. Aussi onctueuse que goûteuse, précisons-le d’emblée. Mais on va y revenir… L’équipe de chercheurs valaisans s’apprête d’ailleurs à présenter leur bébé en grande pompe au Salon International de l’Agriculture de Paris, du 26 février au 6 mars. Et la société n’en est pas à son coup d’essai puisqu’elle avait déjà présenté avec succès Roboclette au CES de Las Vegas en 2020. Un engin capable, on vous le donne en mille, de servir… la raclette.
La concurrence française à la traîne
Alors n’en déplaise aux personnages créés par Albert Uderzo et René Goscinny, commençons par rendre à César ce qui est à César: ce Bouébot (en patois fribourgeois, le terme désigne le garçon qui aidait à l’époque les armaillis dans la fabrication du fromage), n’est pas tout à fait le premier du genre. Il y a un peu plus d’un an, des Français – sacrilège! –, les spécialistes en robotique de Mactech, avaient en effet déjà présenté un engin sachant «préparer la fondue». Mais de deux choses l’une: d’abord, au vu de leur vidéo de présentation, la fondue – méchamment tranchée – était tout sauf appétissante. Ensuite, leur engin se contentait en réalité de mélanger le fromage. Alors que le Bouébot (aussi appelé Robotfondue), lui, assure la préparation d’une moitié-moitié de A à Z: il écroute le fromage, le râpe, verse le vin, la maïzena et le poivre, touille d’abord en cercle, puis en 8, et finit par servir 6 bouts de pain sur des pics après les avoir consciencieusement trempés dans le mélange… Ouf!
Alors évacuons immédiatement la problématique de l’impact des robots dans le monde du travail. Non, Bouébot ne risque pas de voler le gagne-pain de nos restaurateurs chéris. «L’engin pèse au total près de 450 kilos, précise Nicolas Fontaine, CEO de Workshop 4.0. Il coûte cher, est imposant, doit être minutieusement préparé, calibré et surtout surveillé pendant son fonctionnement. Ce n’est rien d’autre qu’un formidable outil de communication, autant pour la fondue moitié-moitié, que pour le bras mécanique lui-même, notre startup ou la robotique en général». Ludovic Aymon, chef de projet, va même plus loin: «C’est une machine industrielle potentiellement dangereuse. Si je me coinçais les doigts dans l’appareil au moment où le bras tourne, le robot ne s’en rendrait pas compte et il me les briserait probablement. Ce n’est pas un jouet».
Un second degré maîtrisé
On parle donc bien d’une savante opération marketing, chargée de mettre en avant ce que la Suisse fait de mieux en matière de tradition et d’innovation. Mais sur un ton bon enfant, comme le soulignent les vidéos de présentation du projet. On y voit le robot commencer par assimiler les traditions fribourgeoises – en photographiant la cathédrale Saint-Nicolas, le lac Noir, la fameuse vache locale – suivre ensuite les conseils des experts fromagers avant de se lancer dans la préparation de la fondue. Avec une réussite et un savoir-faire qui ne laisse d’ailleurs pas insensible le célèbre armailli Raoul Colliard en personne.
Mais attention: derrière ce second degré et ces sourires en coin affichés, la prouesse technique est bel et bien réelle. Sur une large table, tous les éléments nécessaires à la confection du met sont placés en arc de cercle, à portée de «main» du bras robotique. On y trouve la plaque chauffante pour poser le caquelon, une bouteille de vin blanc ouverte, deux grosses portions de meule de fromage – l’une de gruyère, l’autre de vacherin fribourgeois –, une scie circulaire destinée à couper la croûte, une râpe sous laquelle une balance va précisément mesurer 200 g de chaque frometon, de la maïzena, du poivre, et enfin des pics métalliques et des croûtons de pain pour la touche finale.
Après, il faut bien comprendre que le robot est «aveugle», se contente d’effectuer une série de mouvements dans un ordre préétabli en respectant des coordonnées bien précises et nécessite donc une surveillance permanente. «Lorsqu’il commence à mélanger le fromage râpé, précise Ludovic Aymon, on a beau lui avoir imprimé des mouvements les plus lents possibles pour qu’il n’en mette pas partout, il arrive que des copeaux tombent sur la plaque. Un humain, les aurait ramassés et redoublerait de précaution en continuant à mélanger. Lui, il ne va rien corriger. On aurait pu lui installer une reconnaissance visuelle mais ça aurait été bien plus cher».
Sous la supervision du terroir et de la tradition
L’équipe a aussi dû faire face à des difficultés particulières, notamment liées à la différence de consistance des fromages: «Le système capable de saisir et de râper le gruyère et le vacherin, l’un à pâte dure, l’autre à pâte molle, a été assez complexe à mettre en place», confirme Nicolas Fontaine. Il s’agissait aussi de respecter un cahier des charges bien précis (établit par les partenaires du Gruyère AOP et du Vacherin Fribourgeois AOP) spécifiant non seulement les ingrédients de la recette à respecter mais également l’ordre dans lequel ils devaient être apprêtés. On ne s’attaque pas au terroir et à la tradition à la légère!
Tant mieux, d’ailleurs, puisque à l’arrivée, on s’est régalé… Alors précisons juste que le CEO de la start-up, face à un mélange qui faisait mine de se séparer dans la dernière ligne droite, avait dû rectifier le tout d’un vigoureux coup de fourchette. La faute à un petit accroc en début de parcours: la bouteille de vin étant quasi vide lorsque Bouébot avait versé le breuvage dans le caquelon, Ludovic Aymon avait voulu en rajouter une lichée mais avait en fin de compte eu la main un peu lourde… «D’habitude, le mélange est parfait, nous assurent les deux hommes en chœur. Là, c’est vraiment le trop-plein de blanc qui l’a empêché d’être vraiment homogène». On leur accorde volontiers le bénéfice du doute, surtout compte tenu du résultat final: une fondue avec beaucoup de goût et de caractère et à la consistance impeccable, à la fois onctueuse et assez épaisse pour que le fromage veuille bien tenir en quantité suffisante sur le pain. On n’aurait pas fait mieux à la maison.
Et puis que dire, pour conclure, d’un robot qui pousse le mimétisme jusqu’à perdre son bout de pain au fond du caquelon…? «Qu’on lui donne cinq coups de bâton!, s’était immédiatement écrié Ludovic Aymon, fin connaisseur d’«Astérix chez les Helvètes». Et s’il en perd un autre, les coups de fouet…». Après, qui sait, dans sa prochaine itération, Bouébot sera peut-être capable de récupérer lui-même son morceau de pain…