Cyclisme«La semaine la plus dure que je n’ai jamais faite sur un Tour de France»
Stefan Küng ne vit pas une édition 2023 de tout repos sur les routes de l’Hexagone. Le Thurgovien s’accroche malgré un niveau de performance très élevé au sein du peloton et des perspectives bouchées.
- par
- Chris Geiger Saint-Gervais
Saint-Gervais-les-Bains, au pied du Mont-Blanc. Le soleil, un ciel bleu et surtout un jour de repos. Difficile dans ces conditions pour Stefan Küng de ne pas arborer un large sourire au moment de rentrer de son entraînement matinal. Dans la foulée, le coureur de la Groupama-FDJ nous reçoit dans le séjour de l’hôtel que son équipe partage avec la formation Jumbo-Visma du maillot jaune Jonas Vingegaard.
L’occasion pour le Thurgovien de revenir sur les deux premières semaines d’un Tour de France particulièrement compliquées sur les plans individuel et collectif, de se projeter sur les prochaines échéances et d’évoquer l’incroyable duel au sommet. Interview.
Stefan Küng, peut-on dire que ce n’est pas le Tour de France le plus agréable de votre carrière?
Définitivement! Déjà, cette édition 2023 de la Grande Boucle est très, très dure, avec beaucoup de dénivelé. Pourtant je passe bien les bosses, mais ça reste quand même compliqué pour moi pour jouer une victoire d’étape. Ensuite, il manque un vrai chrono pour les spécialistes. C’est dommage pour moi. Enfin, c’est toujours plus motivant si on est vraiment dans la bataille pour l’objectif initial de notre leader au classement général. David (ndlr: Gaudu) est neuvième, alors qu’il visait un podium et qu’il réalise de bonnes performances. Malheureusement, je pense qu’il est à sa place. Il n’y a pas de secret: d’autres coureurs sont simplement plus forts. Tout ça fait qu’effectivement j’ai vécu des éditions plus agréables et plus «stimulantes» que celle-ci.
Comment se motive-t-on lorsqu’on réalise que ni individuellement, ni collectivement on est en capacité de jouer tout devant?
On reste concentré et motivé malgré tout. Je sais que les gens regardent uniquement le nom du vainqueur. Actuellement, c’est la bataille pour la gagne qui intéresse les gens. Du coup, une neuvième place au classement général ne les intéresse pas. Mais pour l’équipe, ça reste important. On continue donc de faire notre boulot et de donner un coup de main à David. Idéalement, et d’un point de vue personnel, j’aimerais évidemment prendre les échappées pour essayer de jouer la gagne. Sur ce Tour de France, ce n’est toutefois pas simple car, je le répète, mais cette édition est très, très dure. Sur certaines étapes, surtout celles de montagne, ça ne sert d’ailleurs pas à grand-chose de prendre l’échappée pour tenter de faire un bon résultat car je vais toujours tomber sur des grimpeurs plus forts que moi.
Dans quel état de forme êtes-vous après ces deux premières semaines de compétition, et à l’approche des Championnats du monde?
Je me sens de mieux en mieux. L’approche du Tour a été très compliquée. Physiquement, c’est une chose. Mentalement, c’en est une autre. Lorsque j’ai un gros objectif, je suis un coureur qui arrive vraiment à se focaliser dessus. C’est là que j’arrive vraiment à donner le meilleur de moi-même. Sur ce Tour, il me manque un peu un gros objectif personnel, même si je sais que je suis là avant tout pour l’équipe. Il reste encore quelques étapes sur cette troisième semaine pour essayer de prendre une échappée, mais c’est incertain. Personnellement, j’ai besoin de savoir que tel jour je peux jouer la gagne. C’est ça qui me manque un peu. Mais avec les Mondiaux qui se rapprochent, l’objectif est quasi là.
Est-il possible d’utiliser cette troisième semaine de la Grande Boucle comme récupération active en vue des Mondiaux?
(Rires) Non, non, le Tour de France, ce n’est pas de la récupération active. Parfois, j’entends que c’est tranquille lorsqu’on est dans le gruppetto. Même dans ces cas-là, ça reste très, très dur. La deuxième semaine a d’ailleurs été la plus dure que je n’ai jamais faite sur un Tour de France. Sur certaines étapes, notamment celles de mardi et jeudi dernier, ça a été «full gaz» de A à Z. Les coureurs qui terminent à 30 ou 45 minutes du vainqueur souffrent autant que les premiers. De la récupération active, ce sera une fois le Tour terminé. Il restera alors suffisamment de temps jusqu’aux Championnats du monde.
Avant cette échéance se présente ce mardi l’unique contre-la-montre de cette édition 2023 du Tour de France…
Le parcours (22,4 km, 700 m de dénivelé) fait que je ne serai pas capable de jouer la victoire, mais au moins ce sera une bonne stimulation en vue de Glasgow. Je savais avant de venir sur ce Tour que ce serait comme ça. Mais je vais me donner à fond sur ce chrono pour préparer au mieux les Mondiaux qui constituent un grand objectif. Physiquement, et même si on ne le voit pas sur la feuille des résultats, il y a eu des jours où j’ai réalisé de bonnes performances sur le Tour.
En tant que spécialiste du chrono, pensez-vous que la victoire peut échapper à Jonas Vingegaard ou Tadej Pogacar?
Non, car ils ont montré sur toutes les ascensions de ce Tour qu’ils sont les meilleurs grimpeurs du monde. Il y a un gros gap par rapport au reste du peloton. En plus, les deux se débrouillent très, très bien en contre-la-montre et sont d’excellents rouleurs. C’est forcément l’un des deux qui va s’imposer ce mardi. Et ça se peut d’ailleurs que les deux terminent à quelques secondes l’un de l’autre. Par contre, je m’attends à ce qu’il y ait un gros gap derrière eux. Personnellement, je pense que celui qui sera en jaune mardi soir le sera aussi à Paris. Quant à moi, si je ne perds pas plus de deux minutes, ce sera déjà bien.
Jusqu’à présent, les deux grands favoris se tiennent en dix secondes seulement, en faveur du Danois. Quel regard portez-vous sur ce duel?
Ce duel fait vibrer les gens. Il faut au cyclisme des grosses rivalités. Quand j’étais jeune, je suivais le duel entre Mika Hakkinen et Michael Schumacher en Formule 1. Quand un sportif domine ses adversaires, ça devient ennuyeux au bout d’un moment. Il faut du suspense. Là, ils sont côte à côte. Ils se livrent à des jeux mentaux. L’un sprinte pour passer l’autre juste devant la ligne. L’autre se lève de sa selle puis se rassied, mais montre bien qu’il aurait pu le passer. Ils essaient à tout prix de faire des différences. Tout ça fait que c’est vraiment beau à regarder pour le public. Pour nous, en revanche, c’est un peu plus dur (rires)!
Si vous deviez vous mouiller, qui triomphera dimanche à Paris?
Dimanche, je pensais que ce serait Tadej Pogacar. Aujourd’hui (lundi), je suis déjà un peu moins sûr (rires). Pour moi, c’est du 50-50. On pourrait jeter une pièce en l’air et tirer à pile ou face. Mais on va rester sur Tadej.