HistoireCinq siècles après, une lettre cryptée de Charles Quint enfin déchiffrée
Des cryptographes français sont parvenus à décrypter une missive du roi d’Espagne à son ambassadeur en France datant de 1547 et qui évoque une rumeur de complot d’assassinat méconnue.
Une suite de symboles «inintelligibles» qui s’éclaire cinq siècles plus tard: quatre chercheurs français ont présenté mercredi leur découverte, le déchiffrement d’une lettre écrite en 1547 par Charles Quint à son ambassadeur à Paris. Pour réussir cette prouesse, six mois de travail ont été nécessaires à des cryptographes du Laboratoire lorrain de recherche en informatique (Loria), associés à une historienne de l’Université de Picardie, au nord de Paris. Leur décryptage apporte un nouvel éclairage sur les relations entre la France, dirigée alors par François Ier, et le Saint-Empire romain germanique.
La lettre, oubliée depuis des siècles, se trouvait dans les collections de la bibliothèque Stanislas, à Nancy, dans l’est de la France. Mystérieuse et incompréhensible, la missive porte la signature du roi d’Espagne (1500-1558), adressée à son ambassadeur Jean de Saint-Mauris. Elle contient 120 symboles différents que Cécile Pierrot, cryptographe au Loria, classe «par familles distinctes» et nomme. Pour le décryptage, la scientifique compte leurs occurrences et repère les combinaisons qui pourraient se répéter.
Un code diabolique
Pour cela, elle et deux autres chercheurs du laboratoire nancéien, Pierrick Gaudry et Paul Zimmermann, décident de faire appel à l’informatique pour «accélérer les recherches». Le déchiffrage se fait «petit pas par petit pas», car le code utilisé par Charles Quint est diabolique. Outre son nombre important de symboles, «des mots entiers sont chiffrés avec un seul symbole», explique Cécile Pierrot. Autre élément déroutant, l’empereur utilise des «symboles nuls», qui ne veulent rien dire et servent en fait à induire en erreur celui qui tenterait de déchiffrer le message.
Une fois déchiffrée, la lettre «vient confirmer l’état assez dégradé» en 1547 des relations entre François Ier et Charles Quint, qui ont pourtant signé un traité de paix trois ans plus tôt, explique l’historienne Camille Desenclos, spécialiste à la fois de la cryptographie et des relations entre la France et le Saint-Empire romain germanique au XVIe siècle. Malgré cette paix, les deux souverains entretiennent une «méfiance» réciproque «extrêmement forte» et cherchent «à s’affaiblir» mutuellement, ajoute-t-elle.
Cacher sa stratégie politique et militaire à ses ennemis
Autre information révélée par le déchiffrage de la lettre: «une rumeur de complot d’assassinat contre Charles Quint qui se tramerait en France», raconte Camille Desenclos, rumeur dont «on ne savait pas grand-chose» auparavant. Elle s’avère «infondée» – Charles Quint n’est pas mort assassiné – mais cette lettre montre «la crainte» du prestigieux monarque vis-à-vis de ce «potentiel complot», souligne-t-elle.
Dans sa missive à son ambassadeur, l’empereur évoque aussi la situation de son empire et sa «stratégie politique et militaire»: le recours à une correspondance chiffrée lui permet ainsi de «dissimuler» ces informations particulièrement sensibles à ses adversaires.
Les chercheurs espèrent désormais pouvoir identifier d’autres lettres en Europe de l’empereur et son ambassadeur, «pour avoir une photographie de la stratégie de Charles Quint en Europe». «Il est probable que nous fassions encore de nombreuses découvertes dans les prochaines années», se réjouit Camille Desenclos.