CommentaireLe jeu douteux d’Elon Musk avec Twitter
Le controversé entrepreneur a pris une part significative dans le capital du réseau social après avoir sondé ses suiveurs avec une question biaisée.
- par
- Jean-Charles Canet
C’était lundi aux États-Unis. On apprenait qu’Elon Musk, patron de Tesla et de SpaceX et, accessoirement l’homme le plus riche de la planète, a acquis près de 73,5 millions d’actions ordinaires de Twitter, soit 9,2% du capital du réseau social. La nouvelle n’a pas été sans conséquences puisque le cours de l’action du réseau social a décollé dans la foulée de plus de 25% à Wall Street. Musk devient ainsi le premier actionnaire de Twitter devant Vanguard (8,8%) et Morgan Stanley (8,4%). Il détient par ailleurs plus de 4 fois plus de titres que le fondateur du groupe Jack Dorsey, crédité de 18 millions de titres. Mardi, il était par ailleurs annoncé qu’Elon Musk rejoignait le conseil d’administration de l’oiseau bleu.
Un terrain bien préparé
Elon Musk avait bien préparé le terrain: quelques jours avant de passer à l’action, le milliardaire s’était fendu d’une série de tweet dont il est coutumier. Dans des sondages maison, il demandait à ses suiveurs si Twitter devait être placé en code source ouvert («Oui» a répondu la masse énamourée) puis, dans un autre sondage, si le réseau respectait la liberté d’expression («Non» a répondu massivement les abonnés à son compte). Dans le même mouvement, Musk invitait à répondre sérieusement à ces sondages suggérant que leur résultat aurait des conséquences. Les conséquences que l’on sait maintenant: le loup est entré dans la bergerie à hauteur de 9,2%. Et sans nul doute avec un agenda.
Lorsqu’un entrepreneur puissant et fantasque se drape dans la «liberté d’expression» pour justifier une action, un signal d’alarme retentit immédiatement dans notre tête. Ses sondages sont manipulateurs, douteux, biaisés. D’abord, Twitter, comme la plupart des réseaux sociaux en vue, a été contraint depuis les dérapages de Donald Trump de mettre en pratique des garde-fous qui encadrent le principe de liberté d’expression. Il était donc évident que le «non» allait massivement l’emporter. Demander si Twitter respecte oui ou non la liberté d’expression revient à demander si la couleur du cheval blanc de Henry IV est… blanche.
Sous surveillance
Ensuite, la manœuvre d’Elon Musk est d’autant plus insidieuse que l’entrepreneur est lui-même sous haute surveillance depuis qu’il a émis (en 2018) des tweets potentiellement manipulateurs autour de Tesla. Depuis ses dérapages, il a dû accepter que ses messages directement liés à l’activité du fabricant de véhicules électriques soient pré-approuvés par la SEC (le gendarme des marchés financiers américains). Aujourd’hui, il demande que cette contrainte soit levée, sans nul doute en brandissant ton nom, Liberté d’Expression.
De là à affirmer que la croisade de Musk ne sert que ses propres intérêts est un pas que nous franchissons allègrement. La liberté d’expression est un principe trop essentiel pour être ainsi pervertie par un ego surdimensionné.
«Voulez-vous d’un bouton Editer»?
Quelques heures à peine après être entré de manière tonitruante dans le capital de Twitter, puis dans son conseil d’administration, Elon Musk s’est fendu d’un nouveau sondage dont il a le secret. Cette fois, il a sobrement demandé à sa communauté si elle souhaitait voir apparaître un bouton «Editer». Par éditer, il faut comprendre pouvoir ouvrir un tweet déjà publié pour y appliquer des modifications jugées nécessaires, telle la correction d’une coquille. Cela inclut bien sûr des propos sur lesquels on souhaite revenir. Là encore une large majorité s’exprime en faveur (à près de 75%, mardi soir).
L’ironie de l’histoire est que l’actuel patron du réseau, Jack Dorsey, avait botté en touche cette idée qui fait débat depuis très longtemps et déclarant qu’une telle option n’arriverait «probablement jamais». Une de ses équipes en a fait même, tout dernièrement, l’objet d’un poisson d’avril en affirmant faussement que Twitter travaille sur le fameux bouton. Le gag pourrait très vite ne plus en être un au rythme où vont les choses… et les prochaines séances de direction s’annoncent croquignolettes.
Comme quoi, même un sondage à l’apparence anodine peut cacher un gouffre d’arrière-pensées.