LausanneTraite d’êtres humains: «Elle a brisé mes rêves, j’ai fini prostituée»
Amina*, Nigériane de 39 ans, conteste tout. Elle nie avoir contraint sa compatriote à se prostituer à Lausanne.
- par
- Evelyne Emeri
«Quel est votre ressenti en entendant les dénégations d’Amina*?» demande la présidente du Tribunal correctionnel d’arrondissement de Lausanne, Anne-Florence Cornaz Genillod, à la plaignante. «Ça me fait vraiment me sentir mal. Cela me blesse. Elle a détruit ma vie tant sur le plan physique que psychologique. Voir tous mes rêves brisés et finir en prostituée…». Les sanglots de celle que nous appellerons Victoria* se font entendre même si elle est dissimulée derrière de hauts paravents. La Nigériane de 33 ans ne veut pas être confrontée à son bourreau. «Au Nigeria, j’avais un bon travail dans l’administration. J’ai pensé que ma vie allait changer en Suisse. Je ressens une grande honte. Je n’ai même pas osé le dire à ma famille.»
Le trottoir au lieu du ménage
Amina* répond d’infractions graves ce lundi 19 décembre: traite d’êtres humains, subsidiairement ou alternativement encouragement à la prostitution et infraction qualifiée à la loi fédérale sur les étrangers, alternativement incitation à l’entrée et au séjour illégal. Suite à la demande de la partie civile représentée par Me Charlotte Iselin, la Cour se réserve de mettre en concours la traite d’être humains et l’encouragement à la prostitution. Les faits s’étendent de mars 2016 à fin 2017/courant 2018. Crédule, la jeune femme fait confiance à un inconnu en 2015 et finit par accepter son départ vers la Suisse en 2016. Un travail bien rémunéré dans le domaine du nettoyage l’y attendrait. C’est pourtant sur le trottoir qu’elle exercera, à Lausanne. Et qu’elle versera à Amina l’intégralité de ses revenus.
«Je l’ai croisée deux fois»
Du côté de la prévenue, la ligne de défense ne varie pas. Elle conteste tout. Elle a croisé Victoria «deux fois» dans sa vie, par hasard. «La première fois à la gare de Venise (I) où, par solidarité africaine», je lui ai proposé de dormir chez moi à Vicenza (ndlr. non loin de là). Le lendemain, elle est partie en me volant de l’argent et des habits. La seconde fois, je l’ai vue dans un bar à Lausanne». On est bien loin du récit atroce de Victoria sous emprise totale après une cérémonie rituelle lors de laquelle des rognures d’ongles, des cheveux et des poils pubiens lui ont été prélevés. Bien loin aussi de sa séquestration en Libye sur le chemin du voyage, des coups, de la contrainte sexuelle avec un ami de l’accusée. La victime s’en sortira grâce à l’abolition en 2018 de ce rituel africain, baptisé «juju», s’agissant de la traite à des fins de prostitution. Cette même année, elle portera enfin plainte.
Récits concordants
Les deux femmes ont fait le trottoir ensemble dans les quartiers chauds de Sébeillon et de Sévelin. Parce que si seule Victoria est présente aux débats, c’est parce que d’autres ont déjà raconté des histoires concordantes en cours d’enquête. L’une d’entre elles ne viendra pas témoigner, elle a été menacée par le mari d’Amina*, semble-t-il. La prévenue jure que «Non, jamais»: «Je faisais des tresses africaines et je vendais des habits». Quand le procureur Eric Mermoud la confronte avec des descentes de police dans le milieu de la prostitution lausannoise. La réponse est: «Je venais récupérer l’argent des trucs que j’avais vendus aux filles ou refaire leurs tresses». Et lorsqu’on la retrouve dans la voiture d’un client avec une autre fille de joie… «C’est pour coiffer votre copine?» ironise le procureur.
Le procès se poursuit.
*Prénoms d’emprunt