ÉvénementLe GIFF, une vision inclusive du 7e art inédite en Suisse
Le Geneva International Film Festival débute ce vendredi avec une sélection autant axée sur le cinéma, les séries que les œuvres VR. Interview de sa directrice, Anaïs Emery.
- par
- Christophe Pinol
Elle est l’une de celles qui a remis zombies, tueurs en séries, méchants aliens et autres monstres protéiformes sur le devant de la scène, en Suisse, plus précisément au NIFFF, le Neuchâtel International Fantastique Film Festival. Anaïs Emery y a officié durant 14 ans mais depuis l’an passé, elle est la nouvelle directrice du GIFF, le Geneva International Film Festival, dont la 28e édition débute vendredi. Une manifestation foisonnante, qui s’évertue depuis des années de mettre sur un pied d’égalité films de cinéma et séries télé. Mais aussi, et c’est plus récent, de hisser de passionnantes œuvres immersives à leur niveau. On fait le tour des points forts de cette édition 2022 en sa compagnie.
Cette deuxième année aux commandes du GIFF vous a -t-elle permis d’affirmer la direction que vous souhaitez donner au festival?
Oui, clairement. Surtout que c’est ma première hors-pandémie, où l’on peut réellement concentrer nos forces sur le festival lui-même et non pas sur les mesures de sécurité. Mais effectivement, cette édition confirme des réflexions entamées l’an passé sur le positionnement du GIFF. C’est notamment le seul festival en Suisse à porter une vision inclusive du 7e art, qui présente sans distinction de prestige des formats audiovisuels très différents: le cinéma, les séries et la création numérique. Avec une compétition distincte pour chacun de ces formats.
Vous avez notamment mis en place une nouveauté étonnante avec les séries: pour la plupart d’entre-elles, les deux premiers épisodes sont à voir en salles et le reste de la saison à la maison. Expliquez-nous comment cela fonctionne?
On est les premiers à proposer cette innovation et on en est très fier. En gros, les gens qui viendront voir le début de la série en salles pourront voir la suite chez eux puisque leur ticket leur donnera accès à un lien nominatif pour visionner le reste de la série. Ils auront un mois pour lancer le troisième épisode et ensuite 5 jours pour visionner l’ensemble de la saison. Ça fait partie d’une grande réflexion qu’on a eu sur les séries et les œuvres numériques, pour essayer de rendre leur accès le plus simple possible au public. Pour les territoires virtuels, où la durée des programmes varie entre 4 et 45 minutes, on a notamment créé un système de billet valable deux heures, qui permet donc dorénavant de voir plusieurs œuvres. Et je précise juste qu’il ne s’agit pas d’expériences VR disponibles dans des stores mais qu’on a été chercher dans les milieux artistiques. Et puis nos équipes sont chargées d’accompagner l’utilisateur pour lui permettre de vivre au mieux cette expérience.
Cette année encore, de nombreux cinéastes renommés passent du grand au petit écran, on va pouvoir le constater avec la présentation des nouvelles séries de Nicolas Winding Refn («Copenhagen Cowboy»), Marco Bellocchio («Esterno notte») et Lars von Trier, qui fait son retour dans le domaine avec «The Kingdom Exodus», suite – 25 ans après – de «The Kingdom». Qu’est-ce que cette migration évoque pour vous?
Ça démontre qu’un artiste curieux, qui a vraiment envie de développer une vision, va utiliser toutes les possibilités qu’offre actuellement l’audiovisuel pour raconter une histoire. En utilisant différents outils et en constituant son propre écosystème en fonction de ses goûts et de ses préférences. Regardez le cinéaste Terrence Malick («The Tree of Life», «Les moissons du ciel»): il a produit une œuvre VR absolument étonnante, que l’on retrouve en sélection.
Est-ce qu’on ne peut pas aussi voir dans cette migration des réalisateurs qui traquent leur public, celui qui déserte actuellement les salles puisqu’on constate qu’un peu partout dans le monde – et c’est le cas en Suisse aussi – les cinémas accusent une baisse de fréquentation de 30% par rapport à l’avant Covid-19?
Il y a forcément de ça, bien sûr. Il est clair qu’un/e cinéaste cherche à parler à la plus large audience possible. Et là, avec des plateformes de streaming qui touchent maintenant beaucoup de pays, c’est idéal. Mais paradoxalement, la série est aujourd’hui tellement entrée dans les mœurs qu’elle s’apprête à connaître un nouveau réseau de distribution: les salles de cinéma. Les grands festivals – Cannes, Venise… – les sélectionnent de plus en plus et certaines séries sont même exploitées en salles. Ça a été parfois le cas pour celle de Marco Bellocchio et celle de Lars von Trier devrait être distribuée en salles en Suisse prochainement.
Alors vous en parliez, la section des œuvres numériques va être marquée par deux installations immersives majeures: «Evolver», produite par Terrence Malick, mais également «Les aveugles», une pièce de théâtre en réalité virtuelle… Pouvez-vous nous en parler plus en détail?
«Evolver», c’est une œuvre exceptionnelle dans le sens propre du terme, qui a bénéficié dans sa création des meilleurs talents, que ce soit au niveau de la technologie immersive, avec le studio Marshmallow Laser Feast, très réputé en Europe, mais aussi Terrence Malick à la production, Cate Blanchett qui assure l’aspect narratif de l’œuvre et le tout mis en musique par Jonny Greenwood et Meredith Monk. Le film raconte le cheminement de l’oxygène, depuis sa production dans la feuille de l’arbre, jusqu’au corps humain, à travers une expérience VR qui a bénéficié du soutien de scientifiques mais qui a vraiment une prétention artistique puisque c’est autant une expérience poétique que méditative. Une véritable tempête visuelle d’une durée de 40 minutes ou 6 utilisateurs par séance, réunis dans une grande salle, peuvent se déplacer et interagir avec l’œuvre… Le top du top de ce qu’on peut actuellement proposer en termes d’immersion.
Et cette pièce de théâtre alors?
«Les aveugles» est une adaptation de la pièce d’un dramaturge belge, Maurice Maeterlinck, qui nous place dans la peau de 12 aveugles perdus dans la forêt, qui tentent de comprendre où ils sont et ce qui leur arrive. 12 personnes peuvent participer en même temps, assises mais qui auront une vue à 360°. C’est une expérience visuelle vraiment émouvante, qui parvient à nous faire ressentir la cécité avec une finesse d’approche assez étonnante.
Dans un tout autre genre, vous proposez aussi des épisodes restaurés de la mythique série des «Babibouchettes»… C’est dire le côté éclectique de cette sélection!
On avait créé ce programme Pop TV l’an passé, qui se veut une manière d’explorer l’histoire du petit écran et de montrer comment il a influencé notre culture populaire. Et «Les babibouchettes» en font assurément partie. La RTS travaille à la restauration de la série depuis plusieurs années – ce qui montre bien que ce programme n’est pas uniquement destiné aux enfants mais constitue bien un pan de notre culture romande – et on va pouvoir en montrer quelques épisodes. Le tout présenté par son créateur, Jean-Claude Issenmann.
Pourquoi avoir quitté le NIFFF, en fin de compte? Vous en aviez marre des films fantastiques, horrifiques et trash?
Non, ça jamais (Elle rit)! Ça reste un des domaines les plus dynamiques en termes d’invention visuelle. C’est surtout toute l’idée du GIFF, cette conversion des formats, qui me plaît énormément. C’est pour moi un poste d’observation unique de la production artistique audiovisuelle contemporaine. Et puis c’était un nouveau défi. J’ai servi de longues années dans le fantastique. A l’époque où on a commencé, le genre était encore considéré comme une sous culture. On a beaucoup travaillé à sa revalorisation et maintenant que celui-ci remporte des Oscars et des Palmes d’Or, il était peut-être temps de passer à un autre défi. Et puis avec toutes ces plateformes de streaming où des algorithmes se chargent de nous recommander des œuvres, il nous semblait essentiel de pouvoir proposer aux gens des outils pour y naviguer et les aider à préciser leurs goûts.
Et pour terminer, d’où vient votre amour pour le cinéma?
J’ai toujours aimé qu’on me raconte des histoires et je trouve que le cinéma est un des plus beaux supports en la matière. D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai d’ailleurs toujours regardé des films. Et pourtant, mon premier au cinéma, toute petite, avait failli être aussi le dernier. C’était pour «Le roi et l’oiseau», de Paul Grimault. J’avais mal compris la fin, je n’avais pas été assez attentive, et je croyais que le robot avait écrasé le petit oiseau. J’étais évidemment horrifiée et j’avais dit à mes parents que je ne retournerai plus jamais en salles… Comme quoi, il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis.