CuisineLes recettes des films de Hayao Miyazaki pour de vrai
Chef et expert en pop culture, Thibaud Villanova met à contribution ses deux casquettes pour recréer les plats des films, séries et mangas les plus cultes. Entretien avec un passionné.
- par
- Christophe Pinol
Si vous êtes fans de cuisine ou de pop culture – et a fortiori des deux –, difficile d’être passé à côté du phénomène. Depuis 2014, le chef Thibaud Villanova s’inspire des films, séries télé et mangas les plus adulés pour donner vie aux plats aperçus au détour d’un plan, ou l’espace d’une case dessinée, comme la tarte à la mélasse de «Harry Potter», les nouilles d’Asakusa de «Demon Slayer» ou encore le milkshake au lait bleu de «Star Wars», la boisson favorite de Luke Skywalker. Il en a passé certaines en revue sur ses chaînes YouTube et Twitch mais il a surtout créé la collection Gastronogeek (éditée chez Hachette Heroes), des livres de recettes explorant les univers culinaires de Dragonball, d’Astérix et Obélix, d’Assassin’s Creed, ou des films Disney.
Il y a un peu plus de 2 mois, il publiait «La cuisine dans Ghibli», splendide ouvrage inspiré des repas dans les films d’animation du célèbre studio japonais, notamment ceux de Hayao Miyazaki, et il vient déjà de sortir son nouveau bébé, «Anime»: 40 recettes tirées des animés les plus célèbres, «Naruto», «One Piece» et «L’attaque des titans» en tête. On a passé le chef au grill.
Vous expliquez dans la préface de «La cuisine dans Ghibli» avoir travaillé 10 ans sur ce livre. Pourquoi si longtemps?
Parce que je n’osais pas m’y attaquer frontalement. Il fait partie des tous premiers livres que je voulais faire au début de la collection mais je me suis toujours dit qu’il fallait que je devienne vraiment bon cuisinier avant de traiter le sujet. Pour certaines licences, comme Dragon Ball, Star Wars ou Disney, pour lesquelles j’ai une certaine maîtrise de la référence, je ne me sentais pas limité niveau cuisine. Mais avec Ghibli, ça m’a pris des années, notamment pour m’imprégner de la cuisine japonaise et comprendre la philosophie derrière chaque préparation. Je suis allé là-bas pour la déguster, j’ai lu beaucoup de livres, suivi des masters classes…
Ce qui est intéressant, c’est que vous prenez parfois des libertés avec les films, comme avec «Souvenirs goutte à goutte» où vous proposez une version cuisinée d’un ananas alors qu’il est dégusté nature dans le film…
Mon travail, en premier lieu, c’est de lier la référence télé, littéraire ou film, à la cuisine. De dire en quelque sorte au lecteur: «Tu te souviens, à tel moment du film, tel personnage mange tel plat…». Après, avec ma femme, Bérengère Demoncy, qui s’occupe de tout l’aspect graphique des livres, on essaye à travers le décor de retrouver au maximum l’ambiance de la scène et apporter au lecteur une certaine immersion. Dans le cas de «Souvenirs goutte à goutte», je n’allais évidemment pas me contenter d’expliquer comment couper un ananas nature. Mais je voulais absolument traiter le film, d’autant plus que la scène de l’ananas est importante. Du coup, l’idée, ici, c’était avant tout de rappeler son existence aux lecteurs et de proposer une recette inspirée par les saveurs du Japon en travaillant le fruit de manière différente.
Comment en êtes-vous venu à la cuisine?
Dans ma famille, tout le monde est aux fourneaux. Ma grand-mère était cuisinière de métier, mon père boulanger, j’ai des cousins charcutiers en Espagne… J’ai toujours baigné là-dedans. Je travaillais en fait dans la pop culture, tantôt dans les jeux de société, tantôt les jeux vidéo, et à un moment j’étais responsable adjoint d’un bar, à Paris, dédié aux cultures de l’imaginaire, mais qui ne proposait pas une carte très poussée dans le domaine. Et c’est là que j’ai eu l’idée de prolonger l’immersion des clients à travers la cuisine. C’est à ce moment que des émissions comme «Top Chef» se sont développées mais personne ne parlait de cuisine imaginaire, celle des banquets d’«Harry Potter», des plats elfiques du «Seigneur des anneaux», ou des pizzas de «Retour vers le futur». Je m’y suis mis et ça a beaucoup plu.
Parmi toutes celles que vous avez créées, y a-t-il une recette qui se dégage du lot, plus populaire que les autres?
Il y a quelques années, quand je n’avais écrit que 3 ou 4 livres, la Bièraubeurre d’«Harry Potter» ou les Lembas du «Seigneur des anneaux» revenaient beaucoup. Aujourd’hui, après 18 livres, c’est plus difficile d’en sortir une seule. Mais dans celui consacré à Ghibli, les ramens de «Ponyo» sont très populaires.
Vous avez des livres officiels – Star Wars, Dragon Ball, Astérix et Obélix – et d’autres qui ne le sont pas. Sont-ils élaborés de manière différente?
Pas vraiment. Les livres officiels ne traitent que la licence en question alors que dans les autres, on va plutôt aborder une thématique à travers différentes références. Mais mon travail, lui, reste le même. Dans le cadre de la licence, il est peut-être un peu plus laborieux parce qu’il faut gagner la confiance des ayants droit, leur faire valider les photos et les textes, leur expliquer pourquoi on choisit telle recette, pourquoi tel ingrédient… Mais c’est de toute façon une question que je me pose pour chacune de mes recettes.
C’est-à-dire? Comment procédez-vous?
Prenez celle de la Cherry Pie de «Twin Peaks», qui n’est pas sous licence. Dans la série, l’agent Cooper n’arrête pas de se régaler avec ce type de tarte. Mais comme il est également fou de café, je voulais trouver le moyen d’associer les deux éléments. Alors je suis parti sur le cacao amer, qui se marie parfaitement à la cerise confite et au café corsé. Dans la recette, j’ajoute donc un râpé de cacao sur le confit de cerise avant de refermer la pâte à tourte, que je dore à l’œuf, dans lequel j’ai au préalable dilué du café corsé. Ça lui donne une couleur particulière; au goût, on y retrouve la douceur du café; et on lie ainsi la forme au fond avec une Cherry Pie au café, deux éléments iconiques de la série. Et pour les licences, c’est pareil. Dans le livre Disney, j’ai la recette de La Crème de la crème à la Edgar, tirée des «Aristochats». Edgar, étant le majordome qui kidnappe les chats en les endormant grâce à une crème à la vanille dopée aux somnifères. Dans le film, la scène où il fait sa préparation est bien décrite: il utilise de la vanille, la crème est blanche, épaisse, il l’a fait mijoter… À partir de là, j’ai suffisamment d’informations pour créer une recette. La licence permet juste de préciser qu’on est validé par le créateur.
Avez-vous déjà essuyé des refus auprès de certaines licences?
Parfois, comme avec «Harry Potter». Ça fait 6 ans que je leur présente chaque année un projet, ils ont toujours refusé et là ils viennent de publier le leur cette année. Mais j’ai la chance d’être édité par Hachette, qui possède déjà les licences Star Wars, Disney et Marvel. Ils ont les moyens et n’ont pas peur d’aller taper à la porte des grands groupes.
On retrouve pourtant des recettes Harry Potter dans certains de vos livres…
Bien sûr, mais tout est dans le respect de la licence. Je n’exploite pas le nom de Harry Potter, je n’utilise pas de logo officiel, je cite l’ayant droit… Et je ne pourrais par exemple pas consacrer un livre entier à la saga. Il faut que la référence soit diluée au milieu de tout un tas d’autres.
On vous a parfois accusé de changer un simple ingrédient pour vous approprier une recette… Qu’est-ce que vous répondez à ça?
Il faudrait déjà savoir ce qui définit une recette. En France, c’est une chose qu’on ne peut pas déposer. Le savoir-faire, c’est d’être capable de raconter cette recette, de l’écrire, de la modifier et de la changer. Effectivement, quand je travaille l’omelette avec pour référence «Daredevil», et notamment cet épisode qui s’ouvre sur une scène où le Caïd se fait une omelette à la ciboulette, comment voulez-vous que je réinvente le plat? Dans des cas comme celui-là, je parle de recette revisitée ou retravaillée, parce que certains plats – très simples – ne demandent pas à être changés. C’est pour ça que je ne réponds pas à ces attaques. Alors effectivement, je vais parfois me contenter de rajouter un coup de moulin à poivre… Mais ce qui fait la différence, c’est la façon dont je décris les différentes étapes, notamment pour faire rouler l’omelette et amener le lecteur à retrouver le même rendu dans son assiette que dans la série.
Comment élaborez-vous la conception d’un livre, comme celui consacré à Ghibli par exemple? Vous commencez par revoir tous les films du studio?
Exactement. Je retourne toujours aux origines. Je revois tout pour m’imprégner des différents aspects de l’œuvre, en faisant des arrêts sur image sur les plats montrés, et je commence alors à griffonner mes recettes. Je les teste ensuite à de nombreuses reprises. Et puis il s’agit ensuite de trouver différents objets capables de coller à cet univers pour les photos: vaisselle, ustensiles…
Avez-vous déjà eu l’occasion de faire goûter vos recettes à l’une des personnes impliquées dans les séries, films ou mangas que vous traitez?
Oui, c’est arrivé. Notamment avec Anthony Daniels, l’interprète de C3PO dans les «Star Wars». Il était venu à Paris pour une convention et comme j’avais déjà cuisiné pour des célébrités dans des événements, j’ai eu le privilège d’être son chef particulier pendant quelques jours. C’était l’année où je sortais mon livre Star Wars et je lui ai donc concocté quelques-unes de mes recettes. Il était très content. J’ai aussi eu l’occasion d’être le chef de Giancarlo Esposito, Gus Fring dans «Breaking Bad». Alors je n’ai pas pu lui préparer mes French Pollos Hermanos, les poulets frits de sa chaîne de restaurants dans la série, que je traite dans mon livre «Séries cultes», mais je lui avais offert ce dernier. Et quelques mois plus tard, il m’avait envoyé une photo de lui en train de manger les Pollos qu’il avait cuisinés selon ma recette, avec un petit mot me disant: «Excellent. Merci!»