CommentaireEnquête Credit Suisse: la quête ardue de la vérité
Malgré toutes les bonnes volontés, la vérité sur la fin de Credit Suisse va se heurter à l’omerta bancaire.
- par
- Eric Felley
La dernière session ordinaire du Parlement au mois de mars s’était terminée le 19 mars par l’annonce du Conseil fédéral du rachat de Credit Suisse par UBS. Les parlementaires ont siégé ensuite en urgence au mois d’avril. Une majorité de droite et de gauche a refusé les garanties de crédits de 109 milliards accordés pour cette opération de sauvetage d’une société privée. Ce refus était symbolique, car le Conseil fédéral avait déjà avancé l’argent et ne pouvait pas revenir en arrière.
Après quelques hésitations, les deux Chambres se sont mises d’accord pour créer une commission d’enquête pour faire la lumière sur ce qui s’est passé. Elle devra chercher quels sont les événements déterminants qui ont amené ce fleuron bancaire helvétique en péril, après avoir dévissé à la bourse en quelques jours. Les enquêteurs auront accès aux documents qui ont motivé la décision d’urgence du Conseil fédéral. On peut s’attendre à de la transparence au niveau institutionnel, à l’Autorité de surveillance, la FINMA, et à la Banque nationale suisse.
L’obstacle du secret bancaire
Par contre, au niveau bancaire, ce sera autrement plus difficile d’obtenir cette transparence. Les parlementaires n’ont pas les prérogatives du Ministère public pour mettre leur nez dans les affaires de Credit Suisse et celles d’UBS. Comme le rappelle le bureau du Conseil national, l’enquête «ne porte pas sur des personnes physiques ou morales de droit privé dans la mesure où celles-ci n’accomplissent pas des tâches de la Confédération». Pour obtenir des informations, les parlementaires devront contourner l’obstacle du secret bancaire, sinon ils risquent de passer à côté d’une bonne part de la vérité.
Si certains à Berne déclarent ostensiblement que les responsables sont à chercher parmi les nombreux administrateurs de la banque, ils savent très bien qu’ils sont difficilement attaquables, voire intouchables. En tout cas, la CEP ne désignera pas de coupables d’un point de vue pénal. Ce n’est pas son rôle, mais elle pourrait faire des découvertes en marge de son enquête, qui pourrait justifier l’ouverture de poursuites. Mais contre qui? Le déclin de Credit Suisse apparaît comme une faillite collective année après année après une longue série de mauvais choix. Ce qu’on peut reprocher moralement à ses dirigeants, c’est d’avoir continué à se nourrir sur la bête jusqu’à son agonie. Des erreurs de management, dira-t-on, comme il en arrive tous les jours dans ce pays.
L’ampleur de la menace
L’enquête devra valider ou infirmer les déclarations du Conseil fédéral du dimanche 19 mars: la faillite de Credit Suisse allait provoquer le lundi un tsunami bancaire d’ampleur internationale. Jusqu’ici, la réalité de cette menace n’a pas été assez étayée. Quelle catastrophe se serait produite? Par quel mécanisme? Il faudra expliquer aussi pourquoi UBS a finalement fait une bonne affaire dans cette opération, où elle a payé 3 milliards de francs pour absorber sa concurrente, qui en valait dix fois plus.
À la fin, tout le monde attend de cette enquête qu’elle révèle la vérité. Il en résultera très certainement une part de vérité, mais aussi une part d’ombre protégée: celle de la finance et de ses secrets. C’est là que les enquêteurs sont attendus au pied du mur.