FootballHumeur: Mbappé sera heureux au Real
Sur le départ, la star du PSG est passée à côté de son match contre Barcelone. Chronique d’un malaise annoncé?
- par
- Daniel Visentini
Où est-il, le gamin de Bondy? Dans la banlieue de Paris, la France venait d’être sacrée championne du monde pour la première fois quand Kylian Mbappé est né en décembre 1998. Il a 25 ans aujourd'hui et si la fulgurance de sa carrière l’a déjà porté au sommet, le petit bonhomme qui éblouissait tout le monde est-il celui qu’il rêvait d’être? Derrière ses sourires que l’on devine forcés parfois, l’enfant de Bondy rigole-t-il toujours, vraiment, dans l’insouciance? Même après ce PSG-Barcelone qu’il a traversé comme un fantôme, si loin de ses espoirs d’être décisif, encore et encore?
On pourrait croire qu’il n’y a là que des problèmes de riche: multimillionnaire, surdoué du foot, bientôt joueur du Real Madrid, Mbappé est une star planétaire. Avoir des états d’âme? Non, ce serait indécent. Et pourtant. On en oublierait l’humain.
Confrontée à la fatalité du devenir, la star française fait face à lui-même, au reflet déformé de ce qu’il est désormais: un monstre, dans le sens positif ou péjoratif et c’est d’ailleurs tout le problème. Il voulait être ce joueur-là, celui qui attire tous les regards, celui qui décide à lui seul du sort d’un match. Il l’est jusqu’à l’excès, parce que tout a été construit, avec lui, pour qu’il le soit: le destin d’un gamin, le dessein du PSG. De lui, on n’attend que l’or et la lumière, toujours, on ne lui autorise plus que ça: le degré ultime de l’excellence, l’obligation d’y parvenir, le principe de réussite permanente érigé en loi.
Est-ce lui qui l’a vraiment voulu? Est-ce le club, pour l’avoir mis au-dessus de tout, dans une surenchère financière indécente, dans une posture qui a créé ce monstre? Depuis deux mois, soit depuis le moment où il a annoncé officiellement son départ du PSG, Mbappé est plus scruté, critiqué, observé qu’avant. Par ruissellement, le club aussi, son entraîneur en particulier.
Luis Enrique impose ses vues, il ose régulièrement le crime de lèse-majesté en sortant sa star à l’heure de jeu en Ligue 1. En réponse, Mbappé ose tout aussi: l’incohérence d’un comportement qui le conduit en tribunes et pas sur le banc, après son remplacement, des mots supposément sales qui fusent de sa bouche au moment où il voit le panneau avec son No de maillot l’invitant à quitter la pelouse.
On en oublierait presque que si Mbappé n’était pas Mbappé, cela serait un non-événement: simplement la sortie d’un joueur qui n’apporte pas ou plus ce qu’on espérait. Aucune sanction, aucune honte, juste du foot.
Alors oui, il se dit qu’on ne sort pas du terrain une telle star, capable de faire la différence sur un coup de génie, c’est précisément la règle tacite et ça l’est d’autant plus que les propriétaires qataris ont sacralisé le joueur. Fragilité du protocole: le totem d’immunité et sa perversité. Contre Barcelone, Luis Enrique n’a pas osé remplacer Mbappé, qui ne défend jamais, là où dans le même temps, Lewandowski s’est époumoné dans la tâche ingrate pour le Barça. Deux salles, deux ambiances et l’entraîneur des Parisiens sait trop ce qu’un changement aurait encore provoqué, en dépit de la logique sportive. La gestion des stars et son cortège de non-dits, de trop-dits.
La semaine prochaine, au match retour, Mbappé va peut-être briller de mille feux à Barcelone, être décisif, qualifier le PSG pour les demi-finales de la Ligue des champions et plus encore après, qui sait? Ou pas. Mais en filigrane, il y a comme un malaise depuis deux mois, qui ne se dissipe que dans l’obligation d’excellence, comme si le relationnel complexe, compliqué, douloureux entre une star, un club, un entraîneur et un public ne s’estompait que dans la grâce artificielle de cette fuite en avant.
Où est-il, le gamin de Bondy, désarmant de spontanéité? Son rêve s’est confronté à la réalité, il l’éprouve depuis un moment déjà, il en joue, il en abuse. Et dans le théâtre de ces interrogations sourdes, il y a comme une gêne: le syndrôme d’hubris n’est pas loin, même si Mbappé n’en est pas le seul responsable, seulement victime consentante d’un système qui l’a consacré.
Le gamin de Bondy n’existe plus, ou alors il est étouffé par lui-même. Dans quelques mois, au Real, dans un grand club, peut-être le plus grand, il vivra autre chose. Il ne sera plus le centre de tout: à Madrid, les stars sont au service de l’institution. On parie même qu’il y sera heureux. Plus qu’à Paris.