Asile en SuisseValais: une expulsion qui sabote 15 ans d’intégration
Une Camerounaise qui vit à Monthey depuis 2007, dont les enfants sont à l’Université, a reçu un ordre d’expulsion, pour elle et son fils de 6 ans. Face à la rigidité du cadre légal, l’espoir réside dans un permis humanitaire.
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Nathalie Ngono n’a pas ménagé son engagement sur son lieu de travail en EMS durant la période du Covid-19.
DRUne pétition circule depuis lundi sur change.org concernant une femme d’origine camerounaise arrivée en Valais en 2007. Le 11 avril dernier, à la suite d’une décision du Service cantonal de la population et de la migration (SPM), elle aurait dû être expulsée avec son fils de 6 ans. Mais son avocat genevois d’origine valaisanne, Me Yves Rausis, a réussi à obtenir une prolongation jusqu’au 1er mai, c’est-à-dire dimanche prochain. Le temps presse et la pétition a atteint les 5000 signatures dans la journée de mardi.
Nathalie Ngono est arrivée en 2007 à Monthey par le biais d’une demande d’asile avec ses deux enfants de 9 et 8 ans, qui sont tous les deux aujourd’hui à l’Université à Fribourg et Saint-Gall. Elle a suivi une formation dans les soins et a été engagée en 2010 en tant qu’auxiliaire de santé dans l’EMS La Charmaie, à Collombey-Muraz. Elle y travaille donc depuis 11 ans à la satisfaction de ses collègues et de son employeur. Un simple coup de fil dans cet établissement suffit à se rendre compte à quel point elle est appréciée et solidement intégrée.
Ennuis à la suite d’un divorce
Pour Nathalie Ngono, les ennuis sont arrivés à cause d’un mariage qui n’a pas duré assez longtemps. Au début des années 2010, elle a convolé avec un Suisse, ce qui lui a octroyé le droit de séjour. Mais leur union a duré un peu moins des trois ans requis pour garder ce droit. En 2015, elle voit sa demande de renouvellement du permis de séjour refusée. Elle fait recours et son dossier se retrouve au Conseil d’État valaisan, qui prend alors cinq ans pour se déterminer. En 2020, la réponse tombe enfin, mais elle est négative. Cela fait alors 13 ans qu’elle est en Suisse. Il s’est ensuivi un recours devant le Tribunal cantonal, puis le Tribunal fédéral. Mais Nathalie Ngono n’est pas parvenue à obtenir le droit de rester en Suisse.
Un enfant de 6 ans renvoyé
Durant ce temps d’attente, elle a mis au monde un troisième enfant en Suisse, qui a aujourd’hui 6 ans. Il est scolarisé en 2H et les procédures engagées jusque-là ne contiennent pas de décision à son égard. Mais, après le jugement du TF, tout se décide rapidement. Le 30 mars dernier, Nathalie Ngono reçoit l’ordre du SPM valaisan de quitter la Suisse le 11 avril, avec son jeune fils. Ce dernier doit aussi être expulsé, car, même s’il est né en Suisse, en tant que mineur il doit accompagner sa mère. «Depuis plus de trente ans que je travaille dans le domaine de l’asile, constate Yves Rausis, j’en ai vu des situations douloureuses. Mais, ici, on atteint un maximum. Un ordre de renvoi à onze jours, alors que la personne vit en Suisse depuis 15 ans, c’est inhumain».
Des études au collège de Saint-Maurice
Depuis 2007, les deux premiers enfants de Nathalie Ngono vont à l’école et se montrent doués et persévérants. Comme d’autres Valaisans ou Valaisannes, ils font leurs études au collège de l´Abbaye de St-Maurice. Le premier entreprend dès 2017 des études de droit à l’Université de Fribourg. Sa sœur a choisi la gestion d’entreprise à la Haute École de Saint-Gall. Le frère, qui est l’auteur de la pétition sur change.org, explique leur volonté de réussir: «Nous avons choisi tous les deux des cursus exigeants. Notre mère nous a poussés et aidés. Je pense que nos parcours sont les signes d’une intégration réussie. Pas seulement pour nous, mais aussi et surtout pour elle, sans qui nous n’aurions jamais pu faire cela. Aujourd’hui cette issue malheureuse brise l’unité familiale». En effet, les deux étudiants, qui sont majeurs, ne sont pas menacés d’expulsion. Mais si leur mère doit partir, ils perdront un soutien moral important et aussi le droit à des bourses.
Soutien professionnel fort
Face à cet ordre d’expulsion, Nathalie Ngono a reçu le soutien immédiat du conseil d’administration de l’EMS où elle travaille, du Conseil communal de Collombey-Muraz, des Jeunesses socialistes du Valais romand, ainsi que du comité de l’Association des EMS valaisans. Interrogé par «Le Nouvelliste», le directeur de La Charmaie, Henri Fournier, confirme: «Nathalie Ngono a démontré des qualités exceptionnelles. Elle fait partie de ce personnel compétent que l’on recherche dans un établissement de soins. Nous souhaitons vivement qu’elle reste parmi nous».
«Le devoir d’appliquer les lois»
Interrogée sur cette décision d’expulsion tardive, la nouvelle cheffe du Service de la population et de la migration de l’État du Valais, Sandra Tiano, refuse d’argumenter sur un cas précis à cause de la protection des données, mais, sur un plan général, elle précise: «Dans tous les cas, nous sommes dans le devoir d’appliquer les lois et ne pouvons en aucun cas les supplanter. Les personnes demandant un permis de séjour peuvent utiliser toutes les voies de recours disponibles. Si les instances juridiques rejettent ces recours, le canton n’est plus en mesure de délivrer un permis de séjour».
Le permis humanitaire
La pétition demande que Nathalie Ngono et son jeune fils soient désormais mis au bénéfice d’un permis humanitaire fondé sur un cas de rigueur. Me Yves Rausis a déposé mardi une demande dans ce sens auprès du SPM: «Les critères à prendre en considération sous cet angle sont la durée de la présence en Suisse, la présence d’enfants scolarisés ou en formation, la stabilité professionnelle, le niveau d’intégration, la connaissance de la langue parlée au lieu de vie et le tissu de relations sociales créé». Selon lui, tous les critères sont ici réunis. L’octroi d’un permis humanitaire doit être avalisé in fine au plan fédéral par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM).
L’intégration, de l’esprit à la lettre…
Cette affaire montre à quel point, l’intégration d’une personne, en Valais ou en Suisse, peut être un chemin pavé de bonnes intentions et semé d’embûches administratives, de «chausses-trappes», dixit l’avocat genevois. Au début de l’année, le SPM valaisan a publié un communiqué dans lequel il défendait une vraie politique d’intégration dans le canton. En conclusion, il était dit: «Le canton du Valais attache une grande importance à l’intégration de sa population étrangère. Une intégration réussie s’avère déterminante pour la cohésion sociale et l’avenir du Valais comme place économique».
Comment justifier, dès lors, qu’on veuille expulser une personne parfaitement intégrée qui vit en Valais depuis 15 ans et dont les enfants fréquentent les plus hautes écoles du pays? Pour Sandra Tiano l’intégration s’arrête si la personne n’est pas en règle: «Les mesures d’intégration prévues dans le programme d’intégration cantonal s’adressent aux personnes dont le séjour est régularisé. La volonté d’intégration affichée par notre service et le Canton ne permet nullement d’aller au-delà des lois».
Il ne reste plus qu’à espérer que la requête d’un permis humanitaire pour Nathalie Ngono et son fils trouve une réponse intelligente, qui ne va pas «au-delà des lois», mais qui permette de les adapter à une situation humaine et éviter de commettre une grave injustice pour toute une famille. Tout ça pour un mariage qui n’a pas tenu trois ans.