BDQuand Tanguy et Laverdure tentaient de vendre des avions à la Suisse
Les chevaliers du ciel sont dans notre pays pour une aventure à l’ancienne inspirée par l’affaire des Mirages, Hitchcock et James Bond, rien que ça!
- par
- Michel Pralong
Tanguy et Laverdure sont en Suisse. Et pas pour faire du tourisme, (même s’ils dévaleront quelques pistes de ski), mais pour convaincre notre pays d’acheter l’avion de combat français, le Mirage. Ceci à l’heure où la Confédération a préféré le F-35 américain au Rafale français, cela ne manque pas de piquant.
Mais dans ce récit complet en deux tomes, nous sommes en 1964. L’histoire est donc largement inspirée de la fameuse affaire des Mirages qui, en raison du dépassement du budget prévu pour l’achat de ces avions, poussa le conseiller fédéral Paul Chaudet à démissionner. Le scandale est ici agrémenté d’une bonne dose d’espionnage et nos deux héros, venus faire la démonstration de leur zinc, vont devoir jouer les agents secrets.
Des noms de famille bien suisses
C’est bourré de références, souvent astucieuses, comme de prétendre que c’est parce que Tanguy doit se poser de force sur une autoroute en construction que la Suisse va ensuite développer cette idée et prévoir des tronçons adaptés à cet effet. Les auteurs font découvrir aux lecteurs des autres pays les subtilités de notre armée de milice et tous les secrets cachés dans nos montagnes. Le scénariste de la série, Patrice Buendia, s’est d’ailleurs associé au banquier franco-suisse, passionné d’aviation, Hubert Cunin pour écrire ces deux volumes. Ils s’en donnent à cœur joie pour donner des noms «bien suisses» à tous les personnages. Le contrôleur aérien Chappuis ressemble d’ailleurs étrangement à Zep (Phillipe Chappuis de son vrai nom, on le rappelle).
Si le premier tome, «Coups de feu dans les Alpes» mettait plus l’accent sur les avions, le deuxième, «Le pilote qui en savait trop» fait davantage dans l’aventure et le suspense. Il se nomme d’ailleurs ainsi en référence à «L’homme qui en savait trop» d’Alfred Hitchcock, dont la première version en 1934 débutait dans les Alpes suisses. On flirte également avec «Au service secret de Sa Majesté», le James Bond avec George Lazenby dont une partie de l’action se déroule en Suisse. Les auteurs avouent en outre s’être inspirés d’Emma Peel, qui joue dans ce film, pour leur personnage d’espionne britannique. Hommage lui est d’ailleurs rendu en début de ce 2e tome puisque la comédienne, ainsi qu’Albert Uderzo et son frère Marcel sont tous trois décédés alors que l’album était en cours de réalisation.
Nés en même temps qu’Astérix
C’est à l’ancienne, rétro à souhait, avec ce charme désuet savoureux. C’est très proche des premières aventures de Tanguy et Laverdure, série créée en 1958 par Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo dans le premier numéro de «Pilote». Dans lequel Uderzo faisait également naître un autre personnage, scénarisé par Goscinny, un certain Astérix. C’est d’ailleurs le succès du petit Gaulois qui le forcera à céder le manche à Jijé pour dessiner les Chevaliers du ciel dès 1968. Le lecteur attentif remarquera dans «Coups de feu dans les Alpes» la présence de Goscinny, Uderzo, Astérix et Obélix au moment où Laverdure finit presque dans un chaudron de fondue.
C’est une excellente idée de reprendre ces deux héros façon «classic», comme s’intitule la série, avec un dessin signé Matthieu Durand très proche de celui d’Uderzo qui signa les meilleurs albums de Tanguy et Laverdure. Et il y a suffisamment de rythme et d’humour pour éviter de livrer une histoire poussiéreuse et dépassée. On se régale en lisant ce diptyque, le fait qu’il se déroule en Suisse ajoutant évidemment beaucoup de saveur à l’aventure. Ce qui est sûr, c’est que Laverdure ne pourra pas dire, comme Obélix à la fin d’«Astérix chez les Helvètes» que notre pays est «plat»: il en fait des montagnes, Ernest!