États-UnisLa note de la Maison-Blanche qui fait tiquer les médias
Une missive a été envoyée à la presse, lui expliquant comment parler de l’enquête en destitution contre le président Joe Biden lancée par les républicains.
La Maison-Blanche est sur le pied de guerre pour discréditer l’enquête en destitution des républicains contre le président Joe Biden, demandant aux médias de dénoncer la «désinformation». Un appel peu ordinaire qui pourrait avoir un effet contre-productif, avertissent des observateurs.
L’exécutif américain a envoyé une note aux médias après que le chef républicain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a annoncé la semaine dernière, une enquête formelle en destitution contre Joe Biden, accusant le démocrate d’alimenter une «culture de la corruption». Les républicains n’ont pour l’heure fourni aucune preuve concrète pour appuyer leurs allégations selon lesquelles le président a bénéficié financièrement des affaires de son fils Hunter.
14 pages pour démonter l’enquête
Visiblement contrariée par la couverture médiatique de ces accusations, la Maison-Blanche a exhorté les rédactions en chef des médias à «redoubler» de vigilance. Couvrir l’affaire en écrivant «les républicains disent ceci, mais la Maison-Blanche dit cela, ce n’est pas rendre service aux Américains qui s’appuient sur la presse indépendante pour demander des comptes aux personnes au pouvoir», affirme cette note.
«Dans le monde médiatique moderne, où tous les jours des menteurs et des bonimenteurs s’adonnent à la désinformation et aux mensonges partout, de Facebook à Fox», ce type de couverture «qui échoue à expliquer l’illégitimité de ces allégations ne fait qu’obscurcir la vérité», ajoute-t-elle. Accompagnait ce mémo un dossier de quatorze pages démontant sept allégations des républicains sur l’enquête dénoncée comme étant «purement politique et sans preuves».
Les tentatives en coulisses d’influencer la couverture médiatique sont loin d’être rares. Mais cette note détaillée a été perçue par certains comme des instructions à la presse, qui pourraient compliquer la lutte contre la désinformation avant une élection présidentielle dans un peu plus d’un an.
Elle a été vue comme une tentative «assez peu ordinaire» d’influencer ouvertement la couverture de la part d’une Maison-Blanche qui «sous-estime la manière dont cela a été perçu», affirme à l’AFP Roy Gutterman, professeur à l’Université de Syracuse.
L’air de s’aplatir devant la Maison-Blanche
Dans un paysage politique ultra-polarisé, certains médias ont dit que le mémo les mettait dans une position difficile, les exposant à des attaques lorsqu’ils font état d’apparentes inexactitudes dans l’affaire de l’enquête en destitution. «Les médias qui pointent la faiblesse du dossier du Parti républicain auront maintenant l’air de s’aplatir devant la pression de la Maison-Blanche», a estimé le site d’information Axios.
La note de l’exécutif, qu’il le veuille ou non, «ouvre la voie à davantage d’attaques contre les médias voire pire, peut faire de la presse un bouc émissaire facile pour toute conséquence non désirée de l’enquête en destitution», a écrit Kimberly Atkins Stohr, chroniqueuse au «Boston Globe». Même si l’enquête ne mène pas à une mise en accusation, le résultat final «encouragera davantage d’attaques contre les membres des médias», a-t-elle jugé.
Les adeptes de la désinformation vont dépeindre les médias comme étant de simples «porte-voix de la Maison-Blanche», et la population, qui aura encore «plus de mal à décider à qui elle fait confiance», sera la perdante, a-t-elle ajouté.
Le mémo souligne la manière dont la Maison-Blanche veut lutter contre les allégations de corruption devant l’opinion publique, à l’approche de la présidentielle de 2024 qui devrait opposer Joe Biden à son prédécesseur républicain Donald Trump. Kevin McCarthy était sous pression depuis des mois de la part des membres les plus trumpistes de son parti pour ouvrir une enquête.
Une note «déconnectée»
L’administration Biden est sur un «terrain solide» si elle veut dénoncer les «allégations douteuses», mais «donner des directives à la presse» semble «quelque peu déconnecté», a affirmé Jonathan Nagler, codirecteur du Centre pour les réseaux sociaux et la politique de l’Université de New York. Toutefois, a-t-il ajouté, les médias peuvent toujours mettre au jour toute désinformation présumée sur cette affaire «sans avoir l’air d’exécuter les ordres de la Maison-Blanche. C’est très clairement le rôle de la presse de dévoiler la désinformation diffusée par les acteurs politiques», a dit M. Nagler à l’AFP.