Vaud: Expulsions fatales: «Nos huissiers sont formés à la désescalade»

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VaudExpulsions fatales: «Nos huissiers sont formés à la désescalade»

Suite aux tragédies de Lutry et, récemment, de Lonay, lematin.ch a interrogé l’Ordre judiciaire vaudois (OJV). Ces actes désespérés auraient-ils pu être évités?

Evelyne Emeri
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Evelyne Emeri
Le jeudi 2 novembre, le patron du fitness Fun Body n’a pas supporté l’expulsion forcée qui l’attendait. Il a commis l’irréparable.

Le jeudi 2 novembre, le patron du fitness Fun Body n’a pas supporté l’expulsion forcée qui l’attendait. Il a commis l’irréparable. 

lematin.ch/Evelyne Emeri

Face à un(e) locataire ou un(e) propriétaire, acculé(e) par les dettes ou des retards de loyers, contraint(e) de rendre les clés de son entreprise ou d’accepter la vente forcée de son logement, déchiré(e) par la perte de son bien, comment faire juste? Comment faire bien? Comment faire mieux? Ces situations extrêmement délicates sont régulièrement vécues par les fonctionnaires des offices des poursuites (OP) et des justices de paix (JP).

L’habitante (56 ans) des hauts de Lutry, qui s’est immolée par le feu à l’arrivée des huissiers en septembre 2021, et le gérant du fitness Fun Body (66 ans) à Lonay, qui s’ôte la vie avec une arme à feu le 2 novembre dernier, remettent sur le devant de la scène la gestion de la phase ultime: l’expulsion en exécution forcée (locaux privés ou commerciaux) ou la vente forcée d’un appartement. 

Trouver des solutions avant…

Nous avons interpellé l’Ordre judiciaire vaudois (OJV). Celui-ci régit les instances appelées à trancher ces requêtes d’expulsion abruptes et ses collaborateurs affectés à intervenir sur le terrain. «Ces procédures impliquent de nombreuses étapes (ndlr. mise en demeure, résiliation de bail, état des lieux; à défaut, requête puis ordonnance d’expulsion et délai de départ; enfin, exécution forcée). Elles incluent diverses possibilités de recours ainsi que la prise de multiples contacts, notamment avec les partenaires sociaux. Ceci, afin de tenter de trouver des solutions et d’éviter d’en arriver à une exécution forcée d’expulsion. Plus de la moitié des dossiers sont ainsi réglés au stade de la procédure d’expulsion», explique Liliane Beuggert, responsable de la communication de l’OJV.

… l’exécution forcée

Lorsque l’exécution forcée est incontournable et que sa requête est actée par la justice de paix, c’est précisément-là que les fonctionnaires de l’État de Vaud se rendent sur place. «Un avis d’exécution forcée est adressé au locataire, fixant le jour et l’heure de l’intervention de la justice de paix. Une copie de cet avis est envoyée à la police et à la commune, qui doit recevoir les objets évacués; et, dans le cadre des baux d’habitation, au Centre social régional, qui doit en principe trouver un logement provisoire pour la partie locataire, poursuit la communicante, Au jour dit, l’huissier(ère) de la justice de paix se présente sur les lieux, accompagné(e) en principe de la police, d’un serrurier et d’un déménageur.»

«Les mesures de soutien sont adaptées à la gravité des cas»

Liliane Beuggert, répondante de l’Ordre judiciaire vaudois

L’Ordre judiciaire vaudois de détailler le mode de fonctionnement et l’approche des autorités ad hoc en regard des circonstances: «L’office des poursuites est parfois présent, notamment pour les locaux commerciaux où un droit de rétention est exercé. C’est à ce titre que l’OP du district de Morges était également à Lonay avec la justice de paix dudit district, permettant ainsi d’éviter de multiplier les convocations». En revanche: «Dans le cas du drame qui était survenu en 2021 à Lutry, il ne s’agissait pas d’une procédure d’expulsion relevant de la compétence de la justice de paix, mais d’une procédure différente (vente forcée d’un immeuble), relevant de la compétence d’un office des poursuites».

Cours de gestion de la violence

Quid de la formation de celles et ceux qui vont au front, qui vont gérer ces expulsions humainement si lourdes? «Les futurs huissiers et huissières des offices des poursuites et faillites, ainsi que ceux et celles des justices de paix suivent des cours obligatoires de gestion de la violence. Ces cours sur mesure sont dispensés par un professeur de Võ-Viêtnam et par une psychologue FSP, poursuit la répondante de l’OJV, Ils portent notamment sur la gestion émotionnelle et la «désescalade» de situations sensibles et comprennent aussi un volet d’autodéfense. Ils existent depuis plusieurs années déjà et sont développés au fur et à mesure. Des modules de formation en gestion de crise ont également été mis en place plus récemment, à l’attention des cadres des offices, en collaboration avec notre organisme partenaire.»

Prise en charge développée

La prise en charge des fonctionnaires qui vivent de plein fouet ces actes désespérés ouvre encore un autre chapitre. «Les mesures de soutien sont adaptées à la gravité des cas qui se présentent. Elles peuvent ainsi varier. Lors d’événements tragiques tels que ceux qui se sont produits à Lonay et à Lutry, un premier soutien psychologique est immédiatement apporté aux collaboratrices et collaborateurs concernés, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui en ressentiraient le besoin par un organisme partenaire de l’Ordre judiciaire vaudois. Dans ce cadre, nous relevons que ces mesures ont encore été développées après l’événement survenu à Lutry, notamment par le biais d’une formalisation du partenariat avec cet organisme externe», conclut la répondante de l’OJV.

Malheureusement, la fulgurance des gestes déterminés des hommes et des femmes qui se sentent spoliés de leur bien, dans l’antre même de leur maison ou de leur entreprise, n’est pas toujours évitable, voire anticipable. Lutry et Lonay sont là pour nous le rappeler, tristement.

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