Tour de FranceSur le bord des routes, le numéro de Vingegaard fait parler
Les spectateurs présents en masse, mercredi, dans la montée du col de la Loze, ont tous un avis sur la stupéfiante victoire du maillot jaune obtenue la veille sur le chrono de la 16e étape.
- par
- Chris Geiger Courchevel
L’édition 2023 du Tour de France a basculé dans une autre dimension, mardi, au soir de la 16e étape. La performance réalisée par Jonas Vingegaard sur le contre-la-montre entre Passy et Combloux (22,4 km) a laissé pantois la grosse majorité des suiveurs. Il faut dire que le maillot jaune danois a relégué son dauphin Tadej Pogacar à 1’38’’ sur cet exercice particulier et mis trois minutes de moins que ce qu’imaginait l’horaire prévisionnel le plus rapide. Il n’en fallait pas plus pour enflammer la Grande Boucle et raviver les suspicions de dopage.
Au lendemain de cette démonstration que beaucoup qualifient de suspecte, les spectateurs massés dans la terrible ascension du col de la Loze évoquaient la performance du Viking, en attendant le passage du peloton. Hacène et Yves, deux septuagénaires français, semblaient dépités.
«On est des anciens, nous rappellent d’emblée les deux compères. On a vu monter tellement de coureurs. Mais depuis l’époque de Virenque et d’Armstrong, on n’y croit plus tellement. On a d’ailleurs fini par savoir qu’ils se dopaient tous. Mais on continue d’aimer le vélo. Le problème, c’est qu’on participe à tout ça puisqu’on est au bord de la route. Comme les journalistes. C’est leur métier, alors ils ne vont pas critiquer le Tour de France. Ce dernier fait travailler des milliers de gens. C’est un business.»
Les deux amis n’ont évidemment pas raté une miette de l’unique chrono de cette édition 2023 disputé mardi sur les routes de Haute-Savoie, au pied du Mont-Blanc. Vingt-quatre heures ont passé depuis le coup de massue mis par le vainqueur sortant, mais la digestion avait toujours du mal à se faire chez nos deux amis.
«On se dit qu’ils (ndlr: Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar) prennent quelque chose, glissent-ils, résignés. Ce sont de supers athlètes, il faut le reconnaître. Mais bon, ce sont quand même pas des chèvres les autres derrière. Ce sont aussi des professionnels. Quand tu vois les écarts qu’ils leur mettent…»
À quelques mètres de là, en léger contre-haut, un bus-camping habillé d’un drapeau slovène attire l’œil. Devant le véhicule, quatre compagnons cassent la croûte. Le tir pris la veille en mondovision par le héros de toute une nation ne leur a pas coupé l’appétit. Mais la performance du maillot jaune leur reste en travers de la gorge.
«Bien sûr que je trouve la performance de Vingegaard suspecte, s’exclame Mark. Plus d’une minute d’avance, franchement… Une si grosse différence, c’est quasi impossible. Je ne sais pas vraiment ce qu’il s’est passé, mais c’est un peu bizarre. Surtout que Tadej a réussi un très bon temps.»
Pas question en revanche pour notre interlocuteur de 40 ans de s’interroger sur les exploits de son compatriote. «Aujourd’hui, Tadej est devenu un vrai bon athlète. Je pense qu’il ne prend rien. Quant à Jonas, on verra bien.»
Le son de cloche est évidemment diamétralement opposé de l’autre côté de la route, où une famille danoise a installé son camp de base. «Ces suspicions de dopage sont des conneries, lance Morten. Jonas ne se dope pas. Je pense d’ailleurs qu’on en a fini avec le dopage dans le cyclisme. Les journaux disent que Jonas a tout mis en place dans sa vie pour remporter le Tour de France. Sa nourriture, ses entraînements, tout. Il a tout fait pour être prêt.»
De toute manière, une seule chose compte pour notre quadragénaire. «Le Danemark est un pays de cyclisme. On aime ce sport et on sait célébrer nos athlètes. C’est pour ça qu’on est ici. Et avec Jonas en jaune, c’est parfait!».
Euphoriques, le Viking et ses compagnons «relookent» une partie de la route à la gloire de Vingegaard. Bien moins rapide que le maillot jaune la veille dans la côte de Domancy, un cyclotouriste prend le temps de lire l’inscription, avant de contourner la peinture encore fraîche sur le sol. Guido, maillot rose sur les épaules, coupe volontiers son effort pour parler du numéro réalisé par le Danois sur la 16e étape.
«J’ai été surpris par le résultat du contre-la-montre, concède l’Italien de 42 ans, en reprenant son souffle. Je ne pensais pas qu’il y aurait un tel gap. On a vu que Vingegaard est parti fort dès le départ et il a tenu jusqu’au bout. Je pensais qu’il allait se fatiguer un peu, mais ça n’a pas été le cas.»
Féru de cyclisme, le Transalpin veut croire à l’authenticité de la prouesse du coureur danois de 26 ans. «Je pense qu’il est dans la lignée de Froome. Il fait partie de ces coureurs qui dédient leur saison au Tour de France. Il est donc au top de sa condition. Les suspicions de dopage? C’est un peu l’histoire du cyclisme. Peut-être que dans cinq ans il y aura un scandale et on découvrira que Vingegaard était dopé. J’espère que ce ne sera pas le cas. Avec le passeport biologique, c’est un peu plus sûr. On ne sait jamais. Mais je veux croire au fait qu’il est jeune et fort.»
C’est tout le cyclisme qui l’espère.