JusticeLes Iraniens vivant en Suisse sont soumis au droit de la famille… islamique
Un traité international entre la Suisse et l’Empire perse conclu en 1934 régit toujours le droit familial des Iraniens vivant dans notre pays – souvent au grand dam des femmes et des enfants.
Le saviez-vous? En Suisse, les ressortissants iraniens sont soumis au droit de la famille de la République islamique, comme le rappelle la «NZZ am Sonntag». Les juges suisses doivent donc juger les divorces ou les successions selon ce droit influencé par la Charia. À l’inverse, les Suisses jugés en Iran sont soumis au droit Suisse. Cela à cause d’un «vieux» traité international conclu entre Berne et l’Empire perse en… 1934 (lire encadré). Il est revenu dans l’actualité lors d’un dramatique cas de violence domestique dans le canton de Berne. Un mari iranien avait menacé et maltraité sa femme iranienne plusieurs fois. C’est lorsqu’elle a demandé le divorce qu’elle a découvert que le droit iranien s’appliquait aussi en Suisse.
Crainte de conflit avec Téhéran
En 2001 encore, le Tribunal fédéral avait affirmé que cet accord devait être appliqué. Pour Sanaz Habibian, avocate d’origine iranienne, c’est un non-sens. Elle reproche à Berne de vouloir éviter tout conflit avec le régime de Téhéran. Partageant cet avis, la conseillère nationale Natalie Imboden (Vert-e-s/BE), informée du cas bernois, déposera pour sa part une interpellation à ce sujet la semaine prochaine. «Le droit iranien n’est pas compatible avec notre ordre juridique», déclare-t-elle. Elle veut aussi montrer que la Suisse rejette ce système d’injustice et qu’elle défend les droits des femmes et des humains.
Du côté bourgeois, on partage son avis. Le Valaisan Philipp Matthias Bregy (Le Centre) estime choquant que de tels éléments étrangers à la culture soient intégrés dans des procédures suisses. Et le conseiller aux États Andrea Caroni (PLR/TI) dit ne pas avoir «beaucoup de compréhension pour ce traité». Selon lui, la question de quand serait le bon moment pour le dénoncer reste toutefois ouverte.
Il faut un débat fondamental sur la position suisse
La discussion sur ce traité avec l’Iran va en effet bien au-delà de celui-ci, souligne la «NZZ am Sonntag». Le débat porte en effet sur la position fondamentale de la Suisse. «Tout comme la guerre en Ukraine, le soulèvement en Iran est un test de résistance pour la neutralité», note le journal. À quoi s’ajoute le rôle particulier de notre pays qui a cinq mandats de puissance protectrice en Iran et représente par exemple les intérêts des États-Unis. De quoi compliquer encore la politique suisse.
Le Conseil fédéral ne souhaite d’ailleurs pas reprendre les sanctions de l’Union européenne (UE) contre les mollahs. La Commission de politique extérieure (CPE) du Parlement a, elle, en revanche, exigé la semaine passée que la Confédération se joigne à l’UE.
Un garde-fou: «l’ordre public»
Le droit suisse dispose d’un mécanisme de protection pour empêcher les discriminations extrêmes que pourraient notamment subir les femmes iraniennes vivant en Suisse, mais soumises au droit islamique en matière de famille à cause du traité avec l’Iran: si le droit étranger viole des valeurs fondamentales de la Suisse, il n’est pas appliqué. Un principe légal appelé «l’ordre public». Celui-ci devrait s’appliquer à toutes les questions «dures» tels la garde des enfants ou le droit au divorce des femmes, estime la professeure Andrea Büchler de l’Université de Zurich.
La portée concrète de cet «ordre public» a été révélée lors du litige sur le droit de garde de l’enfant d’un couple iranien qui est allé deux fois jusqu’au Tribunal fédéral (TF) – un long parcours d’angoisse pour la mère. La première fois, le TF avait estimé que le droit iranien s’appliquait. Puis, en 2002, les juges ont décidé que confier l’enfant à la garde du père selon le droit islamique portait préjudice au bien-être de l’enfant et ont fait valoir l’ordre public. L’avocate helvético-iranienne Sanaz Habibian déplore que la Suisse n’ait pas tiré les conséquences et dénoncé le traité au plus tard après cet arrêt du Tribunal fédéral. Car, relève-t-elle, rien que la possibilité que ce droit iranien puisse être appliqué en Suisse est défavorable aux femmes iraniennes en Suisse.
Un accord obsolète depuis 1979
Le Conseil fédéral a conclu en 1934 l’accord d’établissement avec l’Empire de Perse de l’époque. Toujours en vigueur, il stipule que le droit de la famille du pays d’origine s’applique aux Iraniens et Iraniennes vivant en Suisse. À l’inverse, le droit fédéral s’applique aux Suisses vivant en Iran.
À l’époque où Berne avait conclu cet accord, la Perse était orientée vers l’Occident et sur la voie de la modernisation, rappelle la «NZZ am Sonntag». Or, depuis la révolution islamique de 1979, le pays a fondamentalement changé, le régime islamiste ayant introduit un système rigide marqué par l’idée de la Charia et où les femmes sont des citoyennes de seconde classe.