JuraElle devient grand-maman avec un foie greffé!
Avec un organe transplanté à 22 ans, Clémentine vit à 54 ans un bonheur partagé avec sa famille.
- par
- Vincent Donzé
Quand elle a accouché d’une petite Adeline en 1992, deux ans seulement après une transplantation, Clémentine Cruchaud était la première femme du pays devenue maman après une greffe du foie, un statut qui lui a valu Une du «Matin», quand son nom de famille était Noirjean. Trente ans plus tard, un nouveau bonheur surgit dans une vie mal partie: premier enfant d’une transplantée hépatique suisse, Adeline a mis au monde Livia, il y a deux mois.
«Sans le professeur François Mosimann, aucune de nous trois ne serait là…», sourit Clémentine Cruchaud. Établie désormais avec son compagnon à La Côte-aux-Fées (NE), cette grand-maman de 54 ans habitait à Lajoux quand par un coup de fil, elle était priée de foncer au CHUV de Lausanne, un foie ayant été légué par un donneur.
La greffe hépatique s’est bien déroulée, le 16 septembre 1990. «Sinon, ma fille ne serait pas là et ma petite-fille non plus», soupire Clémentine Cruchaud. Sa fille Adeline est admirative: «Je remercie ma maman d’avoir trouvé cette énergie, d’avoir eu le courage de faire le pas et de prendre ce risque».
Pas d’alcool
Clémentine avait 22 ans et ne buvait pas d’alcool. Tandis qu’elle aidait son mari à la ferme, son foie s’était dégradé par la faute d’un renard transmetteur de parasites. L’échinococcose alvéolaire n’a pas été diagnostiquée pendant plusieurs années et la santé de Clémentine s’est lentement dégradée jusqu’à une l’apparition d’une jaunisse.
«Ma chance, c’est d’avoir été opérée de cette jaunisse à Lausanne», reprend Clémentine. Une échographie a alors révélé la présence d’une maladie parasitaire dont l’incubation peut durer dix ans. D’où venaient les parasites? De framboises cueillies au bord du Doubs, après le passage d’un renard? Une chose est sûre depuis qu’elle prend des médicaments antirejet: les baies sauvages ramassées à hauteur de renard sont bannies de son alimentation.
Pas grand-chose
«Logée près de l’aorte, la masse de parasites mesurait six centimètres», raconte Clémentine, opérée en 2004 pour une récidive d’échinococcose. «La maladie nous ronge, nous mange: ça me grattait toute la journée, je ne parvenais plus à monter les escaliers», raconte Clémentine Cruchaud.
Cette miraculée se définit elle-même comme une survivante: «Il ne me restait pas grand-chose à vivre et on ne donnait pas cher de ma peau lorsque le professeur Mosimann a convoqué ma famille dans la perspective d’une greffe», se souvient-elle.
Accepter une opération si lourde quand on a un fils de deux ans? Clémentine a hésité, mais pas longtemps: le témoignage et les photos d’une transplantée l’ont convaincue. Sa vie est désormais rythmée par des tests réguliers et la prise d’antirejet pour empêcher les globules d’attaquer un organe qui n’est pas le sien. L’échinococcose n’a pas disparu, mais les parasites sont stabilisés au vermifuge.
Longue cicatrice
De sa greffe, Clémentine Cruchaud garde une longue cicatrice qui ne l’empêche pas d’aller à la plage en bikini, quand elle est en vacances en Guadeloupe avec son compagnon. «Je lui tire mon chapeau!» glisse Éric, admiratif. Sa transplantation, Clémentine l’a assimilée au point d’avoir aidé une étudiante à réaliser une mémoire sur le sujet. Et son visage est apparu sur des flyers pour la promotion du don d’organes.
Le lien avec son donneur anonyme est invisible, mais inconsciemment, en pesant à son nouveau foie, Clémentine sait «combien ce bien est précieux» et qu’il faut en prendre soin. Sa trajectoire a influencé sa fille Adeline: quand la sage-femme lui a proposé du champagne à la naissance de sa fille Livia, elle a préféré une limonade. «Moi, à la naissance de ma fille, je n’avais pas une sage-femme, mais 15 médecins», sourit Clémentine.
Prof. François Mosimann (75 ans): «Quelle chance elle a eue!»
Étiez-vous certain de sauver Clémentine?
C’était la quatrième greffe réalisée au CHUV, mais on n’est jamais sûr de rien. Disons qu’on était convaincu d’avoir de fortes chances que ça fonctionne. Le foie mis à part, son état général était bon, sans défaillance rénale ou cardiorespiratoire, si bien qu’elle a eu des suites opératoires simples, puis a pu mener une vie normale.
Quel est le premier défi dans une greffe du foie?
Le même que pour toutes les greffes: trouver un donneur! La demande est toujours plus grande que l’offre de sorte que, aujourd’hui encore, des patients meurent en liste d’attente. Toutefois, Clémentine était vernie: quelques jours seulement après son inscription, on disposait d’un organe manifestement de bonne qualité. Quelle chance elle a eue!
Pourquoi cette transplantation est-elle la plus dure à réaliser?
Techniquement, il y a tant de choses à faire, en commençant par retirer l’organe d’origine, le plus souvent cirrhotique. En effet, le sang à destinée hépatique est dévié vers des vaisseaux collatéraux très fragiles et ces «varices» tendent à saigner dès qu’on les regarde! De plus, ces patients ont souvent des troubles de la coagulation sanguine qui rendent les hémorragies difficiles à maîtriser. Par ailleurs, à cette époque, il fallait drainer le sang de la partie inférieure du corps vers le cœur au moyen d’un by-pass extracorporel, une procédure rendue le plus souvent superflue par les nouvelles technologies.
Quels progrès a-t-on réalisés en 30 ans?
Les méthodes de conservation du foie se sont améliorées. Classiquement, il doit être implanté dans les six à huit heures suivant le prélèvement. Tout récemment, un collègue zurichois a réalisé une machine permettant de reconditionner un foie de qualité a priori douteuse et d’augmenter très significativement sa durée de conservation. Par ailleurs, la toute nouvelle loi sur la transplantation introduisant le principe du consentement implicite au don d’organes fait que la carte de donneur n’est plus indispensable. Toutefois, les proches peuvent s’opposer à un prélèvement si la volonté du donneur potentiel n’est pas connue. Formellement, c’est un progrès, mais la fondation Swisstransplant a dû renoncer à son registre en vertu de la protection des données. C’est un peu dommage.
Donner un organe en fin de vie, est-ce si difficile?
La notion de mort cérébrale peut être difficile à admettre, même pour quelques politiciens. Accepter de débrancher la machine quand la peau est chaude avec un cœur qui bat, des poumons ventilés et une émission d’urine conservée, ce n’est pas si facile. Même le grand spécialiste et père de la greffe hépatique, le Dr Thomas Starzl qui m’a formé à Pittsburgh, essuyait des critiques.