Corée du Sud«Squid Game»: ce phénomène sériel et sociétal
Mise en ligne le 17 septembre, la série est en passe de devenir un phénomène sur la plateforme Netflix. Pourquoi un tel raz-de-marée populaire?
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«Squid Game» est actuellement la série la plus regardée dans 76 pays, dont la Suisse.
YOUNGKYU PARK © Netflix«Squid Game» truste le haut du classement du leader du streaming. C’est le titre Netflix le plus regardé dans 76 pays, dont les États-Unis et la Suisse. Ted Sarandos, co-PDG de Netflix, estime «que la série est sur la bonne voie pour être la production la plus visionnée de la firme californienne.» Le «jeu du calamar» - traduction d’un jeu coréen très populaire dans les cours de récré – brille de mille feux. Son créateur et réalisateur Dong-hyuk Hwang révèle de nombreuses vérités et failles sur notre ère, gangrenée par le capitalisme.
Reprenons: des personnes désespérées et endettées jusqu’au cou, envoyées dans une arène où la mort rôde: 6 jeux sadiques où les 456 participants (volontaires) doivent survivre à la folie meurtrière d’un maître (du jeu) masqué. Un seul et unique joueur en sortira vainqueur, et verra son compte en banque se garnir de 46,5 milliards de wons – un peu plus de 36,6 millions de francs.
Engrenage mortel et jeux d’enfants
Une fois dans l’engrenage, c’est terminé, impossible de prendre la poudre d’escampette, vous devez tout faire pour ne pas claquer. Certains y verront un prolongement de «Hunger Games», d’autres diront que Netflix perpétue une forme de perversité enclenchée avec «Alice in Borderland». On pourrait même établir des correspondances avec le film palmé «Parasite» de Bong Joon-Ho. Mais la série convoque différents ressorts et ne se résume pas une vulgaire partie mortelle. Cette simple phrase résume bien l’ADN du scénario: «Tous les participants au jeu sont égaux. Nous donnons aux personnes qui ont subi un traitement inégal et une discrimination dans le monde extérieur la dernière chance de gagner un jeu équitable.» Que le meilleur gagne, point barre. Personne n’est avantagé. Et pour ce faire, un brin de nostalgie et des jeux pour enfants, comme le célèbre «1,2,3, soleil!»
Ce jeu meurtrier dénote l’hyper-compétitivité de la société coréenne, présentée sous forme de divertissement macabre. Une récurrente évocation des inégalités et du fossé économique qui vampirisent ce pays de plus de 51 millions d’habitants. Une aliénation qui nous mène vers une méditation. Pour faire simple: les riches s’embêtent, ils vont donc s’amuser à jouer avec de pauvres gens. La série participe à une déclaration de l’esclavage moderne. Un garde masqué n’hésite pas à remuer le couteau dans la plaie: «Laissez-moi vous rappeler que nous sommes là pour vous donner une chance.» Une contrainte déguisée en choix assumé.
Pour ces endettés, les comptes bancaires à sec et les factures s’empilant, il est temps de faire tapis et jouer sa vie. Quitte ou double, la mort pour probable porte de sortie. C’est le destin du personnage principal, Seong Gi-hun (Jung-jae Lee), criblé de dettes de jeu et sans emploi, bien décidé de ravaler sa fierté et foncer tête baissée pour rafler la mise. Le sang et les cadavres s’accumulant, l’homme est conscient de la folie, mais cerné par la fatalité, il préfère mettre de côté ses ressentiments.
Reflet d’une société coréenne essorée
Netflix, concernant la Corée du Sud, développe des productions qui reflètent cette société inégale, à l’instar de la série «Sky Castle» (sortie en 2018 et également sur Netflix) qui dissèque ce contrôle des super-riches sur les classes populaires. Les inégalités qui sont insidieusement évoquées dans l’excellent film de Bong Joon-ho, dévoilent également cette précarité dans «Squid Game». La série est tout aussi perverse moralement que physiquement. Autre facteur retord du show: à l’intérieur, les participants jouent leur vie, mais conscients d’être de simples pions prêts à être sacrifiés. La violence y est exacerbée, marquant la béance de la plaie – sociétale et humaine. Mais de manière plus holistique, l’un des arguments qui pèse dans la balance est cette obsession des jeux télévisés. La popularité de «Koh-Lanta», par exemple, en est une illustration.
Outre son habit sociétal, l’ensemble est divertissant; la mise en scène ultra-immersive et radicale, portée par une bande-son étonnante, forme les atours d’un show explosif. Une sarabande mortifère, jouant des codes de la comédie noire en passant par le thriller vengeur. Tout est condensé dans ce jeu vicieux cimentant les ruines de la psyché humaine, pour en faire des joutes sinistres. Ajoutez une cadence effrénée, et «Squid Game» nous place face à la barbarie de notre époque.