EditorialTariq Ramadan: ce doute qui rend toutes les plaignantes coupables
Le verdict est tombé hier mercredi à Genève. Faute de preuves, l’islamologue est libéré des infractions de viol et de contrainte sexuelle.
- par
- Evelyne Emeri
Il est beau Tariq Ramadan, physiquement. Il est fort, intellectuellement. Il est célèbre, un people prédicateur – ou l’inverse – qui séduit les foules et les femmes par ses mots, sa voix et son charme indéniable. L’homme soutiendra même en cours d’enquête qu’il est harcelé par la gent féminine. Il a toujours nié la moindre violence, prétendu avoir été piégé par des groupies. Toutes étaient consentantes selon lui. Le message que la Cour genevoise transmet à Brigitte* et, partant, aux quatre autres plaignantes françaises en attente d’un potentiel procès aux assises est une véritable gifle. L’islamologue est acquitté. Leur bourreau pour elles, ses amantes pour lui.
Ce premier round – un appel est déjà annoncé par la partie civile – était très attendu. Il allait donner le ton de cette affaire née à l’automne 2017 dans la mouvance Weinstein, #balancetonporc, #meetoo et qui doit résonner très fort aujourd’hui en France. Les juges suisses de première instance ont retenu le doute. Pas d’indices probants, pas de traces matérielles, les psychiatres de Brigitte incapables de confirmer ses dires, ses messages d’amour au prévenu après les faits, le témoignage de Dieudonné qui n’a servi strictement à rien si ce n’est à lui permettre une nouvelle apparition… Trop de scepticisme, de perplexité.
In dubio pro reo (ndlr. dans le doute, le juge doit trancher en faveur de l’accusé) dans toute sa splendeur. Le fardeau de la preuve et son appréciation sont ici insurmontables. Et ce, précisément lorsqu’il s’agit d’agression sexuelle. Parce que seule la parole des parties monte sur le ring. Et que les versions sont forcément diamétralement opposées. L’arsenal juridique permet ce doute, le tribunal l’a appliqué, dans l’incapacité de se forger une intime conviction. La constance de Brigitte dans ses déclarations n’aura pas suffi. Elle a quitté la salle d’audience avant la fin de la lecture du jugement. Salie une seconde fois.
Que reste-t-il au terme des débats? Une Suissesse de 57 ans que la justice n’a pas estimée suffisamment crédible et solide face aux dénégations du prédicateur. Et un Tariq Ramadan qui arbore son plus beau sourire et des yeux qui pétillent à l’issue du verdict, victorieux après neuf mois de prison en lien avec la procédure française. Le Tribunal de Genève a même écarté l’emprise, les deux protagonistes ne se connaissant pas avant la nuit fatale. Acquitté, de sorte que les cinq femmes qui le poursuivent en deviennent coupables. Ou, du moins, peuvent le ressentir ainsi.
Il est assurément le lieu pour rappeler qu’un acquittement au bénéfice du doute n’est pas un blanc-seing. C’est juste du droit pénal, austère, sans émotions. La vérité reste et restera dans le huis clos des alcôves. Dans la mémoire de celui et de celle(s) qui s’y retrouvai(en)t. Loin des prétoires.
*Pseudonyme choisi par la plaignante