Bande dessinéeBilal fait buguer la planète et c’est un pur bonheur
Privée d’un seul coup de tout ce qui est numérique, l’humanité prend l’eau, nous raconte l’auteur avec une dérision délicieuse, puisant avec malice dans l’actualité.
- par
- Michel Pralong
L’humanité ébranlée par le coronavirus, secouée par la guerre en Ukraine, voilà qui ne prête pas à se pencher sur de futures catastrophes imaginaires. Et pourtant, lire celle imaginée par Enki Bilal fait beaucoup de bien. Parce que, encore une fois, l’auteur de BD sait imaginer un futur qui nous fait réfléchir sur le présent. Et qu’avec sa série «Bug», il fait preuve d’un humour comme jamais auparavant.
Pour vous résumer très vite la situation, si vous n’aviez pas lu les deux premiers tomes, un astronaute s’est fait envahir par un petit insecte (bug en anglais) extraterrestre. Et cela a provoqué le plus gros bug de l’histoire humaine puisque tout le numérique a disparu. Tout, pas tout à fait, car l’entier du savoir informatique a pris place dans le cerveau de l’infesté, Kameron Obb, devenu un espoir pour l’humanité. Et un objet de convoitise pour tous, surtout les plus malintentionnés.
Malheur aux riches
Bilal donne donc un grand coup de pied dans la fourmilière et s’amuse à regarder les pauvres insectes que nous sommes s’agiter, une fois leurs repères perdus. Délicieuse ironie, les pays les plus pauvres ayant eu moins de moyens pour passer au tout numérique se retrouvent moins handicapés que les riches.
Bilal s’éclate à imaginer les futures idéologies nées de ce chaos et inspirées du pire du XXe et du début du XXIe siècle. Néoféminisme violent, néomarxisme hystérique, mafias débiles et autres excités en tous genres s‘affrontent dans un monde en ruines. L’actu récente s’invite dans le récit, cette néotsarine de Sibérie accueillant le héros à une table longue de 7 mètres, pour respecter les distances de sécurité, tel Poutine face à Macron. Le grand remplacement tant évoqué dans la campagne politique française a fait place au grand basculement, mais les gesticulations des puissants sont toujours aussi pathétiques.
L’autoréférence au chess-boxing
Bilal s’amuse en n’hésitant pas à citer un sport qu’il a lui-même inventé dans la «Trilogie Nikopol», le chess-boxing, épreuve mélangeant échec et boxe et qui, depuis, a réellement été créée. Il pousse l’absurde jusqu’à affubler son héros d’un manteau et d’un bonnet de fourrure rose. Avec des oreilles. C’est fou, c’est jubilatoire. Et comme c’est du Bilal, c’est évidemment d’une beauté époustouflante. La série est prévue en 5 tomes, peut-être plus. Si elle reste du même calibre, on signe pour bien plus. Et comme elle ne fait que s’améliorer…