Procès à MoutierMariages forcés: «Je n’ai fait que du bien à ces femmes»
Le patriarche accusé d’avoir fait vivre un calvaire à des femmes destinées à ses fils réfute toutes les accusations portées contre lui et son clan.
- par
- Vincent Donzé
Béret noir, moustache blanche et carnet vert à la main, le chef de clan accusé de traite d’êtres humains par la justice bernoise a donné sa version ce mardi devant les cinq juges du Tribunal régional Jura bernois – Seeland. En instruction, il légitimait la condition de vie imposée aux épouses de ses quatre fils par la loi ancestrale du kanun, mais devant ses juges, il a affirmé que «tout ce qu’elles ont raconté est faux, de A à Z».
À Moutier, les juges ont été plongés dans un autre siècle, avec un contrôle de virginité infligé à des mineures de 14 à 17 ans achetées en Albanie à des familles pauvres par le biais d’un intermédiaire. Un contrôle effectué dès leur arrivée en Suisse, la première nuit. «C’est comme ça, la tradition», a affirmé le chef de clan. On était en 2003.
«C’est du passé»
Une épouse qui se soustrait à ce passage obligé est renvoyée dans son pays: «C’est alors à ses parents de rembourser tous les frais», a dit le chef de clan, tout en affirmant que ces pratiques, «c’est du passé». Mais face au refus d’une belle-fille, le même homme a appelé la mère de celle-ci: «Votre fille n’est pas en ordre, elle ne veut pas coucher!» a-t-il reproché. Se plaindre était alors «un besoin» pour lui.
Pour défendre son clan, le patriarche affirme qu’une de ses belles-filles «communiquait par téléphone avec un autre mari». Une prétendue relation décrite comme «discrète» qui lui a fait citer un proverbe: «On ne peut pas manger avec deux cuillères». Soupirs dans l’assistance.
Un frère, un cousin
«Je n’ai fait que du bien à ces femmes, jamais de mal!» a prétendu le chef de clan. La preuve? Avec l’aide d’un ami de Lausanne, il aurait payé une caution de 850 francs pour faire libérer un frère et un cousin d’une belle-fille, tous deux emprisonnés à Bienne.
Selon l’acte d’accusation, lorsque le père a organisé des mariages forcés, il a fait miroiter une vie plus confortable en Suisse. Un passage à l’état civil était promis après un mariage traditionnel, mais pour l’avocat d’une plaignante, la promesse était trompeuse: s’agissant de mineures, un regroupement familial était impossible. «C’est l’affaire de leurs parents. Les gens d’Albanie étaient mieux informés que moi!» a répliqué S. A.
«Maître de la maison»
Les plaignantes qui ont fui leurs maris en 2019 pour porter plainte disent avoir subi un véritable calvaire, battues, violées, humiliées et menacées. Le kanun est-elle une tradition encore appliquée? «Je suis le maître de la maison», a déclaré S. A. en instruction. Des propos nuancés devant le tribunal: «Je suis responsable de la maison où j’habite, mais chacun de mes fils a son propre appartement et sa propre famille: je ne suis pas chez eux».
Les quatre épouses étaient interdites de sortie. Elles n’étaient pas autorisées à apprendre le français, encore moins à entreprendre un apprentissage. Leurs tâches étaient ménagères et elles devaient s’occuper de leurs enfants.
Le rôle du patriarche de 65 ans apparaît primordial: originaire de Serbie ou du Kosovo selon les déclarations, il est arrivé en Suisse en 1998 et n’a travaillé que deux ans. titulaire d’un permis F, il ne parle pas français et vit à Bienne avec une épouse, chacun chez soi. Bénéficiaire d’une rente et d’une aide sociale, il a accumulé des poursuites pour 48 000 francs.
Rapport sexuel applaudi
«Si je voulais aller nager à la piscine du village, je devais demander l’autorisation à tous les membres de la famille», a expliqué une plaignante. Son beau-père l’aurait empêchée de quitter son mari en la frappant et en lui enlevant son enfant, en lui disant qu’elle n’avait qu’à sauter par la fenêtre. Il la surveillait dans sa chambre avec une caméra vidéo.
Dans une famille où un rapport sexuel était applaudi, une épouse a reproché à son mari sa soumission totale au patriarche, lequel aurait dit à son fils: «Il n’y a qu’un seul père. Mais il y a assez de femmes sur le marché». Verdict prévu le 24 novembre prochain.