États-UnisUn condamné à mort afro-américain fête un étrange répit en musique
Keith LaMar a vu son exécution repoussée de trois ans. Il a fêté la nouvelle en sortant une chanson de jazz.
Keith LaMar devait mourir ce 16 novembre. Alors pour fêter trois ans de répit supplémentaires, ce condamné à la peine capitale a sorti jeudi une chanson de jazz. La musique aide cet Afro-américain de 54 ans, enfermé depuis près de 30 ans dans le couloir de la mort de l’Ohio, à survivre.
Devant être exécuté par injection létale ce 16 novembre 2023, Keith LaMar, qui se dit innocent d’un quintuple meurtre en 1993, célèbre sa vie sauve en sortant sur les plateformes de streaming une chanson aux accents jazz et hip hop composée avec un pianiste espagnol installé à New York.
La raison du répit
Son répit de plus de trois ans est dû au fait que l’Ohio ne parvient plus à s’approvisionner en anesthésiants et produits chimiques injectés aux condamnés à mort: des laboratoires pharmaceutiques refusent de vendre certains composants aux services pénitentiaires d’États américains pratiquant la peine de mort par injection.
Albert Marquès, professeur catalan de musique à Brooklyn, croit depuis 2020 en «l’innocence absolue» de Keith LaMar. Avec LaMar chantant au téléphone depuis sa prison de l’Ohio, Marquès donne des concerts avec ses musiciens dans des salles aux Etats-Unis, en Amérique du Sud et en Europe, et a sorti en 2022 un album («Freedom First») composé et joué à distance avec son ami condamné.
Grâce au téléphone, ils se sont même produits en «concert depuis le couloir de la mort» le 10 octobre à l’ambassade de France à Washington pour la «Journée mondiale contre la peine de mort», selon le compte X (ex-Twitter) de la chancellerie et celui du musicien espagnol.
Soulagement
Au téléphone mardi, LaMar a exprimé «un sentiment de soulagement» que son exécution ait été repoussée jusqu’au 13 janvier 2027. Ce «temps supplémentaire» lui permettra de «rassembler sa formidable équipe d’avocats et ses soutiens pour raconter son histoire au plus grand nombre».
La chanson «The Journey», sur les plateformes de streaming, est «une manière de célébrer la victoire d’une bataille très importante d’une lutte encore à venir», s’est réjoui auprès de l’AFP Albert Marquès, qui se félicite d’avoir créé avec LaMar son morceau «le plus optimiste».
Doublement condamné
Emprisonné à 19 ans pour le meurtre d’un ami toxicomane qui, sous la menace d’une arme, voulait lui voler du crack, Keith LaMar admet à l’époque sa culpabilité et est condamné à 18 années de réclusion. Incarcéré à la fin des années 1980, il est condamné à mort en 1995 pour le meurtre de cinq codétenus lors d’une émeute déclenchée en 1993 par des prisonniers musulmans qui avaient refusé de se soumettre à un test de tuberculose, car le sérum contenait de l’alcool. Les violences, durant 11 jours, avaient fait dix morts, dont un gardien de prison de l’Ohio.
Keith LaMar dit se battre depuis 35 ans en prison pour échapper aux violences, à la peine capitale et pour son innocence: il a tout raconté dans un livre («Condamné» – 2014) dicté au téléphone à son éditeur.
Amateur de Jazz
Le détenu écoute beaucoup de jazz, surtout John Coltrane. Adepte de «boeufs» (improvisations sur des classiques du jazz), il avait dit en 2022 composer et écrire de plus en plus. «La musique peut populariser mon cas auprès d’un large public (...) donc, oui, plus les gens en sauront sur mon affaire, plus j’aurai du soutien de l’opinion», a-t-il reconnu mardi.
Dans un pays dont l’histoire montre que nombre d’erreurs judiciaires frappent en majorité des Afro-américains, Keith LaMar réclame la réouverture de son dossier, entaché selon lui d’irrégularités comme la destruction de preuves et la rétention d’informations. «Quand on est pauvre et noir dans un pays raciste, on plaide coupable», avait-il affirmé en 2022.
Appel en vue
Les procureurs à l’époque de son procès, Bill Anderson et Seth Tieger, jugeaient encore l’an dernier dans le «New York Times» que Keith LaMar était «complètement coupable et là où il devait être: dans le couloir de la mort».
Il est aujourd’hui défendu par l’avocat des droits civiques Keegan Stephan, qui entend faire appel de sa condamnation car «il y a beaucoup de raisons de penser qu’il est innocent et qu’au minimum, il n’a pas eu un procès juste».