FootballRicardo Rodriguez, centenaire malgré lui?
Le latéral gauche de l’équipe de Suisse fêtera sa 100e sélection sous le maillot suisse contre la République tchèque mardi (20h45). Un homme qui fuit la lumière, mais qui s’impose par lui-même.
- par
- Valentin Schnorhk Saint-Gall
Question simple, samedi soir après la victoire 2-1 de la Suisse en Espagne: «Pourrez-vous jouer contre la République tchèque pour votre 100e sélection?». Réponse brève: «Oui, je le pense.» Avec Ricardo Rodriguez, sorti à la pause parce qu’en manque de rythme après avoir été malade, c’est ainsi que cela se passe depuis onze ans.
Il ne s’épanche pas. Parfois, cela n’est pas nécessaire. Souvent, on peut rester sur sa faim. C’est sa personnalité. Et pourtant, cela ne l’empêche pas d’enfiler le brassard de capitaine au Torino depuis le début de saison, et d’être donc sur le point de passer le cap très symbolique des 100 matches avec l’équipe nationale ce mardi (20h45) à Saint-Gall.
Il ne sera que le septième international suisse de l’histoire à y parvenir. Il suit de très près Xherdan Shaqiri et Granit Xhaka, qui l’ont précédé dans l’année écoulée. Ricardo Rodriguez est l’un des symboles d’une génération décomplexée sur la scène du football internationale. Il fait partie de ceux qui ont émergé en 2011, seulement quelques mois après le fameux match de Wembley, lors duquel Ottmar Hitzfeld avait choisi de tout changer. «C’est très significatif pour moi d’atteindre cette marque, sourit-il. Je suis fier d’arriver à 100 sélections, même si mardi, ce sera simplement un match comme un autre.»
Depuis cette première contre le Pays de Galles le 7 octobre 2011, Rodriguez a toujours été là. Jamais blessé, ou presque, il a toujours fait partie du cadre, toujours été titulaire dans les grandes compétitions internationales. «C’est le signe qu’il se comporte de manière très professionnelle, relève Murat Yakin. Je connais sa famille depuis très longtemps, également ses frères (réd: Francisco et Roberto). Je connais leur caractère, ce sont de bonnes personnes, qui aiment par-dessus tout le football. Cette marque est aussi une preuve de constance.» Et pourtant, Rodriguez a toujours préféré agir dans l’ombre.
Jamais dépassé
Quel leader le Zurichois est-il vraiment? Quel rôle joue-t-il dans cette équipe nationale? Lui ne parle que du terrain. «Ma position a évolué avec les changements de sélectionneur, dit-il simplement. J’ai joué latéral gauche, à l’extérieur aussi ou dans la défense à trois, mais j’en suis capable et j’essaie simplement d’être le meilleur possible qu’importe le poste.» Et au final, même si son rendement a été discuté ces dernières années, il n’a jamais été oublié.
On a parfois entendu que sa proximité avec Granit Xhaka plaidait pour lui. On a surtout constaté que jamais personne n’a été suffisamment fort pour lui prendre clairement sa place: Reto Ziegler avait été le premier à se faire passer devant, avant que François Moubandje ou Loris Benito ne puissent jamais réclamer plus qu’un rôle de doublure. Aujourd’hui, Murat Yakin tend même à privilégier des joueurs qui ne sont pas latéraux gauches de formation pour le suppléer (Lotomba ou Steffen). Ricardo Rodriguez s’impose presque de lui-même.
Pourtant, le débat est prégnant. Yakin a installé Rodriguez dans un rôle qu’il n’occupe plus en club, où il évolue en tant que central gauche d’une défense à trois. Là où Petkovic l’a régulièrement utilisé durant ses dernières années, là où il pouvait compenser son déficit athlétique apparent par un sens intelligent du placement et surtout une relance toujours bien soignée. On n’oubliera pas ses quelques montées bien choisies lors de l’Euro 2020, où le triangle qu’il formait avec Xhaka et Steven Zuber avait été la clé des plus beaux moments de l’équipe nationale.
Mais il y a un fait: le Ricardo Rodriguez percutant, actif offensivement, de ses sept ou huit premières années en équipe nationale a disparu. Bien moins porté vers l’avant, beaucoup plus conservateur dans son rôle, il est un latéral gauche qui se préserve. Autrement dit, Rodriguez n’a plus grand-chose du joueur hyper décisif qu’il pouvait être par le passé (entre 2012 et 2015, avec Wolfsburg, il avait donné 20 passes décisives en Bundesliga en trois saisons). C’est désormais essentiellement sur coups de pied arrêtés qu’il s’illustre, son pied gauche demeurant une valeur sûre. Même s’il est difficile d’oublier les trois penalties manqués consécutivement sous le maillot suisse (Irlande, États-Unis et France).
Acteur d’une génération
Pas de quoi non plus remettre en cause son statut. «Il est irremplaçable, statue Yakin. Il joue un football dynamique et intelligent et il est très important pour l’équipe.» Et puis, Ricardo Rodriguez est intimement lié aux grands moments de l’équipe nationale. «Je n’ai connu que très peu de moments négatifs avec la Suisse», acquiesce-t-il.
Il est de la génération 92, celle qui fête ses 30 ans cette année, celle qui a annoncé qu’elle renverserait la table dès son titre de champion du monde M17 en 2009. Celle qui a participé à tous les grands tournois depuis 2014, notamment parce que Rodriguez avait inscrit un penalty décisif contre l’Irlande du Nord, dans le barrage d’accession au Mondial 2018. Celle qui est toujours sortie des groupes dans ces grandes compétitions, jusqu’à parvenir en quarts de finale du dernier Euro.
Et pourtant, de cette équipe-là, il ne sera peut-être pas le premier dont on se souviendra. C’est le destin qu’il a choisi, celui avec lequel il est en paix et qui colle le mieux avec l’homme qu’il est. Qu’importe son legs, il faut surtout espérer qu’il laisse des héritiers.