Sans foi ni loiHospitalisé, l’avocat ripoux a été jugé à Nyon en son absence
L’escroc présumé ne s’est à nouveau pas présenté devant ses juges vaudois. Qui ont refusé de renvoyer la cause une seconde fois.
- par
- Evelyne Emeri
«Qu’est-ce qu’on fait de Paolo*», lance le président du Tribunal correctionnel d’arrondissement de La Côte, Daniel Stoll, en ouverture d’audience mardi? «Il sera en décompensation à chaque fois. On va passer au jugement. Si l’on tient compte d’une diminution moyenne de responsabilité qui induit une réduction de peine, on aura au mieux du sursis.» Le ton du procès est donné. L’affaire est collante. Et commence visiblement à épuiser et à agacer toutes les parties. L’avocat ripoux est souffrant comme en juin 2021, date de ce qui aurait dû être son premier procès. Diagnostiqué schizophrène paranoïaque il y a plus de 20 ans, après avoir déclenché la mise en examen de la Banque nationale de Paris (BNP) pour usage de faux, il est à nouveau hospitalisé. Sa maladie ne l’a manifestement pas empêché de sévir en Suisse romande et de gruger des particuliers, des sociétés, de trop nombreuses autorités judiciaires et des ex-confrères.
Les faits reprochés au prévenu de 67 ans sont relativement simples, pourtant loin d’être anodins. Durant deux ans et demi, d’avril 2017 à août 2019, le Franco-Italien a sciemment usurpé le droit de partiquer en terres helvétiques, alors qu’il n’est pas inscrit au registre des avocats italiens et radié du barreau français de longue date au vu de ses antécédents: cinq inscriptions à son casier judiciaire, toujours pour des affaires économiques en France. Ici, il a escroqué deux entreprises vaudoises - et d’autres qui n’ont pas porté plainte -. Ici toujours, il a produit à plus de 26 reprises des documents attestant de son droit d’exercer en Suisse. Il a même bluffé des tribunaux dans les cantons de Vaud, de Fribourg, de Genève et du Valais. Sauf un, en Valais. Et patatras.
«Protéger le justiciable»
Poursuivi par l'Ordre des avocats vaudois (OAV), Paolo admet avoir certifié sa fausse qualité d’avocat. Lui qui vénère cette profession héritée de son père et espère récupérer sa première robe d’homme de loi offerte par sa mère. «Il a bafoué l’essence même de son métier et violé ce en quoi il croit le plus. Il adresse ses regrets sincères à l’Ordre des avocats et à ses membres. Sa maladie a provoqué la violation desdits faits», plaide déjà Me David Abikzer, son défenseur. «Des excuses tardives» pour Me Gilles Monnier, avocat de l’OAV. «Il m’a dit qu’il n’y avait pas pensé avant et il a fondu en larmes», réplique du tac au tac la défense. Et le bâtonnier, Me Nicolas Gillard, de s’exprimer rapidement avant de devoir filer: «Il y a la défense de la profession. Nous nous devions de le poursuivre. Et il y a surtout la protection du justiciable».
«Faut pas vous énerver»
Me Abikzer n’avait plus parlé à son client depuis début décembre. Jusqu’à la veille des débats de ce mardi 25 janvier: «Je l’ai eu toute la journée au téléphone. Il ne veut pas qu’il soit considéré comme défaillant. Il regrette vraiment de ne pas pouvoir être présent en raison de sa maladie». En audience, ils échangent par WhatsApp. Les infractions retenues par le ministère public sont lourdes: escroquerie (5 ans ferme max. ou peine pécuniaire), faux dans les titres (5 ans ferme max. ou peine pécuniaire) et contravention à la loi sur la profession d’avocat LPAv (amende). Il va quand même falloir batailler. Et la bataille sera sèche. Les représentants des deux entreprises vaudoises flouées se sont rapidement retrouvés jugés. Les attaques de la défense seront rudes: ils auraient dû être plus vigilants. Au point que l’un d’eux lui lâche posément un «Faut pas vous énerver» pour replacer le contexte.
Vrais ou faux mails?
Le faussaire maintient que ces plaignants étaient au courant depuis l’automne 2018 qu’il ne pouvait pas les représenter, raison pour laquelle il aurait proposé de mandater d’autres avocats afin qu’ils puissent plaider valablement. Des mails et des pièces jointes leur auraient été transmis. Les lésés disent les découvrir aux débats et contestent catégoriquement les avoir reçus (ndlr. transfert de mails). Ce n’est qu’en juin 2019 qu’ils découvriront la supercherie en investiguant chacun de leur côté sur la véracité de ses propos et des prétendus actes de procédure. L’accusé invente des audiences, facture des opérations inexistantes, promet avoir déposé des dossiers. Le mode opératoire était bien rodé. Me Abikzer bouscule encore cette dame en béquille et ce monsieur, venus bravement défendre leur droit, seuls. La procureure Valérie de Watteville Subilia vient à leur secours et rappelle que «le prévenu a refusé que l’on examine ses mails».
Inexistant en Italie, grillé en France, le sexagénaire et Marianne*, sa compagne juriste et son assistante, ont choisi la Suisse pour poursuivre leur carrière délictueuse. L’ex-Maître est recommandé à une société de consulting près d’Yverdon par le biais de connaissances. «Il était bon en plus», précise le représentant de la Sàrl. C’est ce dernier qui introduira le couple auprès de la grosse entreprise du district de Morges, également partie civile. Que deux. Bien davantage de clients ont été identifiés sans pour autant vouloir dénoncer l’accusé et sa complice, détaille le Parquet. «Me X est un parfait escroc. Il parle bien, est très poli, présente bien. Il est empathique. Et jovial, à l’époque. Vous n’avez pas eu la chance de le rencontrer. Même au ministère public, il portait la robe», raille délicieusement la procureure en s’adressant à la Cour correctionnelle de Nyon.
Par appât du gain
Une magistrate qui raconte qu’elle a eu droit à toutes les versions possibles et imaginables. L’homme ne se laisse apparemment pas décontenancer. Au point de soutenir le jour de son arrestation qu’il est bien un avocat inscrit au barreau de Turin et qu’il peut exercer en Suisse. «Tous les témoins ou clients ont confirmé qu’il adoptait cette même posture. Il s’est fait connaître auprès de ses «confrères» vaudois. Les plaignants n’avaient aucune raison de douter de lui, ils lui ont fait confiance. Il a agi par appât du gain et intentionnellement. Marianne faisait partie du stratagème et a agi par volonté d’enrichissement. Sa culpabilité est moyenne, elle n’a pas d’antécédents», ajoute-t-elle, avant de requérir à son encontre 60 jours-amende à 30 francs le jour pour escroquerie. Également absente comme en juin 2021 sans la moindre excuse motivée, la Parisienne de 60 ans est jugée par défaut.
Six mois ferme requis
Pour Paolo, ce sera une peine ferme partielle malgré ses antécédents. «Sa culpabilité est très lourde. À sa décharge, son trouble schizo-affectif et, partant, une réduction moyenne de responsabilité pénale. Il a été en détention préventive plus de six mois et suit son traitement. Seule une peine privative de liberté est envisageable», conclut la procureure Valérie de Watteville Subilia. Celle-ci requiert 18 mois dont six mois ferme – et les 12 mois restants avec sursis durant 5 ans – pour escroquerie, faux dans les titres, infraction à la loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD) et contravention à la loi sur la profession d’avocat (LPAv). Elle exige en outre la poursuite d’un traitement ambulatoire, 3000 francs d’amende, une interdiction de pratique durant 5 ans (ndlr. même s’il est à la retraite) et la publication du jugement sur tous les supports ad hoc.
«La journée, il était Maître»
Avocat de l'ordre des avocats vaudois (OAV), Me Gilles Monnier suit la ligne du ministère public en tous points, excepté pour la quotité de la peine qu’il laisse à l’appréciation de la Cour: «Ce n’est pas un titre comme les autres, c’est le serment de l’avocat, le sens profond de cette robe que nous portons, de ce titre de Maître, de nos brevets que l’on accroche dans nos salles d’attente. Pour l’OAV, le message, c’est la protection de la confiance que les justiciables placent dans ce titre. Il a été avocat, il pouvait en juger de ce titre précisément. Cette violation réitérée est un élément important. Il l’a dit aux experts, il avait envie qu’on le prenne pour un avocat. Il était tout excité quand un tribunal lui envoyait son autorisation. La journée, il était Maître; le soir, seulement Paolo.
«Il ressemble au Père Noël dans sa bonhomie et sa gentillesse. Et le Père Noël n’est pas une ordure. Il aurait menti sur toute la ligne? L’accusation du parquet ne tient pas, elle se base sur les mensonges des plaignants qui savaient que mon client n’était pas en droit de les représenter.» Me David Abikzer démarre fort sa plaidoirie. «Mon client n’est pas le saint des saints, mais ce n’est pas un escroc. Quand on reçoit des factures d’un avocat basé à Turin, on contrôle. Évidemment, c’est moins cher. Les plaignants ont pris des risques. Ils devaient prendre des mesures de précaution minimales. Paolo doit être libéré de l’infraction d’escroquerie», poursuit-il. Quant à l’usurpation du titre, elle est admise. "Même radié, il était encore persuadé d’être avocat. C’est dans la maladie qu’il faut chercher. En prison, il est redescendu sur terre. Il n’est pas fier. Il est en grande souffrance. Je demande une peine compatible avec le sursis: 12 mois avec un délai d’épreuve de 3 ans.
«Elle a toujours ignoré»
Pour Marianne, Me Alex Wagner a plaidé l’ignorance et une véritable vénération pour son compagnon de déroute: «Je n’ai jamais eu aucun contact avec elle depuis mon mandat d’office. Je pense qu’elle a toujours ignoré que l’autorisation de son conjoint était fausse. Il avait un succès d’estime, il n’était pas que cupide. Il était l’avocat qu’elle a toujours rêvé d’être elle-même (ndlr. elle est juriste). C’est sa conviction. Il a reçu 26 fois l’accord de la Chambre des avocats en Suisse. Elle avait confiance même si elle savait pour sa radiation en France. Attention, c’est une quérulente. Elle a fait appel deux fois pour faire sauter mon mandat. Il convient de l’acquitter, tout simplement».
Le verdict est attendu dans la semaine.
*Prénoms d’emprunt