CommentaireL’argent russe en Suisse rouvre le débat du secret bancaire
Si la Suisse s’est jointe aux sanctions contre les oligarques russes, ceux-ci semblent toujours pouvoir profiter de l’opacité de notre système. Cette critique venant des États-Unis est à prendre très au sérieux.
- par
- Eric Felley
Dimanche soir sur la RTS, le conseiller fédéral Guy Parmelin, chef de l’Économie, a évoqué la position de la Suisse par rapport aux sanctions prises contre la Russie. Selon lui, la Suisse a suivi «la plupart des sanctions de l’Union européenne». S’il devait y avoir un nouveau train de mesures de Bruxelles, le Conseil fédéral devra «examiner leurs conséquences pratiques» pour la Suisse. De toute évidence, on ne sent pas chez le Vaudois un grand enthousiasme à l’idée de nouvelles sanctions.
La Suisse se serait bien passé de la guerre en Ukraine, ne serait-ce que pour les conséquences qu’elle a sur sa place financière et les montagnes de milliards russes qui s’y trouvent. Tant que la paix régnait, personne ne s’en souciait et beaucoup de gens en profitaient dans le cadre de leur travail tout à fait légalement. Et patatras, il faut geler les avoirs de ces bons clients russes et en même temps se serrer la ceinture. Mais l’honneur est sauf, même Joe Biden a cité la Suisse en exemple pour sa loyauté avec le camp occidental
Une certaine méfiance
Qui dit sanctions suppose efficacité, contrôle et transparence. Mais peu à peu s’est installée une certaine méfiance, en particulier au Parlement. Certains estiment que les sanctions vont trop loin, d’autres pas assez, qu’elles ne touchent pas les bonnes personnes, etc. Depuis quelque temps, Guy Parmelin est dans le collimateur du Parti socialiste, qui estime que lui et ses services sont laxistes. La semaine dernière, le PS a fait référence à l’attaque de certains membres de la Commission d’Helsinki, organe indépendant pour la sécurité et la coopération en Europe, financé par le Département d’État américain.
La Suisse sur deux tableaux?
Cette commission s’étonne que la Suisse n’ait bloqué que 7,5 milliards de francs d’argent russe, alors que les banques suisses abriteraient jusqu’à 200 milliards de fonds russes, selon une estimation de l’Association suisse des banques, voir encore plus selon l’estimation de l’ONG Public Eye. Cette commission reproche à la Suisse de jouer sur deux tableaux en protégeant les avoirs du président russe et de ses proches déposés en Suisse. C’est une accusation grave. Le Conseil fédéral a aussitôt vivement rétorqué en précisant que les sanctions financières touchent déjà 1091 personnes et 80 entreprises et organisations russes.
Pas de vue d’ensemble
Comment savoir quelle part cela représente par rapport à l’ensemble des fortunes russes? Le Conseil fédéral ne le dit pas et il est probable que personne ne dispose d’une vue d’ensemble de cet argent placé en Suisse. Au début mars, le PS avait demandé la création d’une task force pour enquêter sur les structures patrimoniales des oligarques et établir la situation réelle de leur fortune et de leurs ayants droit. Deux mois plus tard, le PS déplore «l’inaction et l’irresponsabilité organisées et persistantes, notamment au sein du Secrétariat d’État à l’économie (SECO) et du conseiller fédéral titulaire Guy Parmelin.»
Des intermédiaires soumis à la loi sur le blanchiment
Dans ce contexte, le Parlement helvétique va retrouver un vieux serpent de mer. Il va revenir quinze ans en arrière en plein débat sur le secret bancaire attaqué par les États-Unis. À l’époque, l’administration du président Obama cherchait l’argent détourné du fisc par ses propres ressortissants et la Suisse a dû plier. Aujourd’hui, les Américains tracent l’argent des Russes et ce sera bien plus compliqué. Une nouvelle fois, la place financière helvétique est sous pression. Le conseiller national Baptiste Hurni (PS/NE) estime qu’il faut agir rapidement en créant un registre public des ayants droit économiques des personnes morales et des trusts et en assujettissant les intermédiaires financiers (fiduciaires, avocats) à la loi sur le blanchiment d’argent, ce que le Parlement vient de refuser.
Exproprier l’argent des oligarques?
C’est d’ailleurs un des points soulevés par la Commission d’Helsinki, qui estime que les avocats en Suisse jouent un rôle très important dans la mise en place de structures de trusts pour dissimuler l’argent des Russes. Au Parlement, les socialistes veulent faire une proposition encore plus radicale en demandant que l’argent des oligarques russes, qui sont impliqués directement dans la guerre, soit tout bonnement exproprié et donné à l’Ukraine pour sa reconstruction. Une idée qui doit faire s’étrangler bien des banquiers!