GuerreUkrainiens déportés: «C’est un crime absolu contre l’humanité»
Selon les autorités ukrainiennes, près de 1,2 millions de personnes auraient été «envoyées contre leur gré en Russie» et placées dans des camps.
- par
- J.Z avec AFP
Lundi, le porte-parole du Pentagone John Kirby a confirmé des informations de Kiev, selon lesquelles des Ukrainiens ont été «envoyés contre leur gré en Russie». Celles-ci stipulaient que «plus de 1,19 million» de personnes, «y compris plus de 200 000 enfants», ont été déportées et placées dans des camps. «Je ne sais pas combien il y a de camps ni à quoi ils ressemblent», a déclaré John Kirby, relayé par l’AFP. «Mais nous avons en effet des informations selon lesquelles des Ukrainiens sont envoyés contre leur gré en Russie».
Le porte-parole américain a dès lors dénoncé un comportement «inadmissible» et incompatible avec «celui d’une puissance responsable» et estimé que Vladimir Poutine «n’accepte et ne respecte tout simplement pas la souveraineté de l’Ukraine». «Cela fait 75 jours que (la Russie) brutalise l’Ukraine et le peuple ukrainien», a-t-il ajouté. «Et chaque fois qu’on se dit qu’ils ne peuvent pas tomber plus bas, ils prouvent qu’on a tort.»
Les États-Unis sont revenus jeudi à la charge en accusant l’armée russe d’avoir transféré «plusieurs milliers» d’Ukrainiens dans des «camps de filtration».
Invitée mercredi à s’exprimer sur BFMTV, la vice-première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk est revenue sur ce phénomène. Relevant un chiffre moindre, avec près de 460 000 personnes déportées dont des enfants orphelins, elle affirme que pas moins de «6500 camps de filtration ont été créés en Russie». «C’est un crime absolu contre l’humanité, dénonce-t-elle. Et cela aura bien sûr des conséquences juridiques.»
Quelques instants plus tôt, c’est Sergueï Gaïdaï, gouverneur de la région ukrainienne de Louhansk, qui évoquait ces mêmes déportations auprès de la chaîne française. Assurant que la Russie menait là une «politique génocidaire», il a déclaré: «Ils déshabillent les gens, ils cherchent des tatouages, des signes de ports d’armes. Ils recherchent les Ukrainiens qui sont en rapport avec les militaires, les forces de l’ordre. Ils essayent aussi de séparer les familles. C’est une sélection».
«Ils ne faisaient aucune différence»
De son côté, France Inter s’est entretenue avec un Ukrainien qui affirme avoir lui-même été déporté. Capturé au nord de Kiev, il aurait ainsi été embarqué de force dans un bus, mains liées et yeux bandés, et emmené en Biélorussie, le grand allié de Poutine dans cette guerre. «Nous n’avions aucune information, impossible de deviner où nous étions, raconte-t-il à la station française. Ils nous traitaient comme des gens inférieurs et eux, ils s’imaginaient être des dieux.»
Il explique avoir ensuite été transféré par avion en Russie, plus précisément à la prison de Rostov-sur-le-Don, où les sévices se seraient poursuivis. «Ils nous tordaient les mains, nous étions déshabillés, puis battus, explique-t-il […] Ils frappaient sans discernement juste pour nous humilier. Jeunes ou vieux. Ils ne faisaient aucune différence.»
Finalement transporté en Crimée, puis vers la ligne de front au nord, le témoin est inclus dans un échange de prisonniers près de Zaporija. Libre, il est depuis retourné chez lui.
Sauvés «d’un enfer»
Interrogée par France Inter sur la raison de ces déportations, une avocate spécialisée en droits de l’homme avance deux pistes. La première est dans un but de propagande. «Ils montrent ces personnes à la télé, explique-t-elle […] Ils font ça pour montrer comment les Russes ont, soi-disant, sauvé ces gens d’un enfer comme Marioupol. Sans jamais mentionner qu’ils ont bombardé leurs maisons.»
Une autre hypothèse voudrait que la Russie cherche, en déplaçant des populations, à relancer l’économie dans des zones sinistrées. «Installer ces Ukrainiens loin de chez eux […] en espérant qu’ils resteront y vivre. Et qu’ils y trouveront un travail pour relancer l’économie locale…», déplore l’avocate.
«Paranoïa de Staline»
L’historien allemand Jan Claas Behrends, du Centre de recherche historique de Potsdam, avance pour sa part une autre raison. «Il s’agit pour Poutine de détruire la culture et l’identité des Ukrainiens, indique-t-il au magazine allemand «Focus». L’historien fait également un parallèle avec «la tradition de Staline, qui a également ordonné la déportation massive de peuples étrangers.»
Un point de vue que partage Andreas Heinemann-Grüder, politologue au Centre international pour l’étude des conflits à Bonn. «La paranoïa de Staline, qui voyait en chacun un collaborateur des nazis, est aujourd’hui ravivée», explique-t-il. Le scientifique mentionne ces camps dits de filtration dans lesquels les Russes voudraient à tout prix identifier les «nazis» ukrainiens. «Ils sont interrogés de manière humiliante, leurs téléphones portables sont fouillés, leurs parcours de vie sont vérifiés […] Ceux qui échouent à l’examen aux yeux des services secrets russes (FSB) ou de l’armée disparaissent tout simplement.»