JusticeLe héros de «Hotel Rwanda» condamné à 25 ans de prison pour «terrorisme»
Après des mois de procès, Paul Rusesabagina, ancien hôtelier dont l’histoire a inspiré Hollywood, a été jugé coupable lundi d’avoir fondé et financé un groupe rebelle armé.
Paul Rusesabagina, ancien hôtelier dont l’histoire a inspiré le film «Hotel Rwanda» et devenu un féroce critique du président Paul Kagame, a été condamné lundi à 25 ans de prison pour «terrorisme», au terme d’un procès qualifié de «politique» par ses soutiens.
L’ancien directeur de l’Hôtel des Mille Collines à Kigali était jugé pour son soutien au Front de libération nationale (FLN), groupe rebelle accusé d’avoir mené des attaques meurtrières au Rwanda en 2018 et 2019.
La prison à vie avait été requise contre lui mais le tribunal a décidé «de réduire sa peine à 25 ans», a déclaré la juge Beatrice Mukamurenzi, en affirmant que Paul Rusesabagina «a reconnu certains des crimes et s’en est excusé» et qu’il s’agit de sa première condamnation.
Mais «étant donné qu’il ne s’est pas rendu à son procès, il ne peut y avoir de réduction de ces 25 ans», a précisé Beatrice Mukamurenzi, l’une des trois juges du tribunal de Kigali, en référence au boycott des audiences par l’accusé et sa défense depuis mars.
Arrestation «facilitée» par le gouvernement rwandais
Paul Rusesabagina, 67 ans, a été rendu célèbre par le film «Hotel Rwanda» sorti en 2004, qui a raconté comment ce Hutu modéré a sauvé plus de 1000 personnes réfugiées dans son établissement durant le génocide de 1994 qui a fait 800’000 morts, principalement des Tutsis.
Après avoir été arrêté dans des conditions controversées à Kigali en août 2020, ce virulent opposant à Paul Kagame a été jugé de février à juillet pour neuf chefs d’accusation, dont celui de «terrorisme».
Paul Rusesabagina a admis avoir participé à la fondation en 2017 du Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD), dont le FLN est considéré comme le bras armé, mais il a toujours nié toute implication dans ces attaques.
Sa famille dénonce un procès spectacle
«Le MRCD-FLN a commis des actes terroristes. Le MRCD ne peut être séparé des actes militaires» du FLN, a déclaré Beatrice Mukamurenzi.
Ni Rusesabagina, qui a 30 jours pour faire appel de ce jugement, ni ses avocats n’étaient présents à la lecture du verdict. Ils ont boycotté les audiences, dénonçant un procès «politique» rendu possible par son «enlèvement» organisé par les autorités rwandaises, ainsi que des mauvais traitements en détention.
Sa famille, qui a exprimé son inquiétude sur son état de santé, et ses soutiens n’ont eu de cesse de dénoncer «un spectacle mis en place par le gouvernement rwandais pour faire taire un critique et refroidir toute dissidence future».
Décoré par les États-Unis
Les États-Unis, qui lui ont décerné la médaille présidentielle de la liberté en 2005, le Parlement européen et la Belgique, dont il est ressortissant, avaient également exprimé leurs préoccupations sur les conditions de son arrestation et l’équité du procès.
Dans une interview début septembre, le président rwandais Paul Kagame avait répondu aux critiques, assurant que Paul Rusesabagina serait «jugé aussi équitablement que possible».
Paul Rusesabagina est depuis plus de vingt ans un virulent opposant à Paul Kagame, qu’il accuse d’autoritarisme et d’alimenter un sentiment anti-Hutu.
Il vivait depuis 1996 en exil aux États-Unis et en Belgique, avant d’être arrêté à Kigali en 2020 dans des circonstances troubles, à la descente d’un avion qu’il pensait à destination du Burundi.
Témoignages contradictoires
Le gouvernement rwandais a admis avoir «facilité le voyage» vers Kigali, mais affirmé que l’arrestation était «légale» et que «ses droits n’ont jamais été violés».
Les cinq mois d’audience ont vu des témoignages contradictoires sur son rôle. Un porte-parole du FLN a déclaré qu’il n’avait «pas donné d’ordres aux combattants du FLN». Un autre coaccusé a, lui, affirmé que tous les ordres venaient de lui.
Sa notoriété hollywoodienne avait suscité des critiques. Certains survivants des Mille Collines lui reprochent notamment d’avoir tiré profit de leur malheur et d’avoir embelli son rôle.
Il avait également utilisé sa célébrité pour donner un écho mondial à ses positions de plus en plus virulentes contre le régime de Paul Kagame, ce qui lui vaut des attaques de partisans du régime.
Un verdict «décidé» par le président Kagame
Le verdict de condamnation qui frappe l’opposant rwandais Paul Rusesabagina, reconnu coupable de «terrorisme» lundi à Kigali, a été «décidé» par le président Paul Kagame, a dénoncé une des filles de l’accusé, Carine Kanimba, interrogée en Belgique.
«Je ne suis pas surprise du tout, on s’attendait exactement à ça. Kagame a kidnappé mon père, puis est allé à la télévision dire qu’il avait du sang sur les mains. Les juges ont décidé ce que le dictateur voulait qu’ils décident», a affirmé Carine Kanimba peu après l’annonce de la condamnation. La peine devait encore être précisée par le tribunal de Kigali, durant une audience de plusieurs heures lundi. AFP