FOOTBALLCoup de cœur: le jour où Pelé nous est né
Notre journaliste évoque la rencontre qui allait marquer sa vie. Tout s’est joué dans un appartement de Chêne-Bougeries, au soir de la finale de la Coupe du monde 1970 au Mexique.
- par
- Nicolas Jacquier
Dieu n’est pas mort, il a juste rejoint la légende qu’il a su créer parmi les hommes. Parce qu’il était le génie du football et en même temps sa magie, on a tous quelque chose de Pelé en nous. Un moment d’éternité, une image nichée dans l’inconscient collectif, un souvenir inoubliable. La fascinante curiosité, c’est que tout le monde, jeune ou plus âgé à travers les cinq continents, sait qui il est, souvent sans même l’avoir vu évoluer dans son habit lumineux de No 10 footballeur. D’abord parce que les personnes ayant eu le privilège de le voir à l’œuvre se font, l’âge aidant, toujours moins nombreuses; ensuite parce que les apparitions du Roi, à l’époque où il jouait avec Santos, ne faisaient pas systématiquement l’objet d’une couverture télévisée partagée universellement. Une absence d’images ayant aussi contribué au mystère enveloppant son règne sans partage…
De Frontenex au stade Aztèque
Pourtant, Pelé s’est imposé dans la vie de chacun d’entre nous. L’artiste était entré dans la nôtre un jour d’été 1970, il y a plus d’un demi-siècle - mais avec ce sentiment troublant que c’était hier, au pire avant-hier. À Vandœuvres où j’ai grandi, nous n’avions pas la télévision dans le salon familial. Pour pouvoir suivre la finale de la Coupe du monde mexicaine, papa et moi avions été invités chez mon parrain Mario, lequel possédait de surcroît un poste en couleurs (une rareté en ce temps-là) - mes sœurs et maman ne nous avaient pas suivis pour ce qui allait être mon premier match à la TV. Jusque-là, mon ordinaire s’était limité aux matches d’UGS à Frontenex le week-end et au souvenir d’un gardien extraordinaire nommé Forestier.
Et c’est là, dans un appartement de la Gradelle, à Chêne-Bougeries, que Pelé s’est révélé au jeune adolescent que j’étais depuis le stade Aztèque. De ce jour de finale magnifique (4-1 contre l’Italie), je n’ai conservé que le but somptueux qu’il avait marqué de la tête, d’une élévation fantastique et aérienne sur un service de Rivelino, un mouvement qui devait donner naissance à une photographie iconique n’ayant jamais vraiment quitté mes yeux.
La Tribune du soir
Je revois encore la Une de la Tribune de Genève du lendemain - Pelé porté en triomphe par les siens - ce journal que je dévorais chaque soir, allongé sur un tapis du salon. Il me fallait pour cela attendre le retour de mon père, revenant souvent tard du cabinet des Eaux-Vives, ramenant avec lui la précieuse Tribune (qui sortait alors en toute fin d’après-midi pour ne pas être en concurrence avec La Suisse du matin).
La presse a aujourd’hui bien changé, le football considérablement évolué, seul Pelé n’a pas vieilli dans mon souvenir jusqu’à devenir ce mythe universel. Pelé, c’était d’abord une couleur, celle d’un maillot unique, celui de la Seleção, jaune pailleté. Mais en même temps que les émotions qu’il pouvait susciter, c’était également un rêve, celui de l’insouciance de nos jeunes années ayant fait l’adulte que j’allais devenir. Oui, plus que les bancs d’école, Pelé a agi sur moi comme un révélateur, me faisant aimer les préaux de la vie comme aucun autre. Le recul aidant, c’est encore le souvenir, peut-être faussé, d’un football en liberté, qui n’était pas encore prisonnier des carcans tactiques ayant réduit le champ d’action des créateurs.
Peut-on s’affranchir de ce qui nous a fait vibrer? Je n’ai jamais pu considérer Pelé autrement qu’en short avec un ballon, sur la scène du jeu. Des miles vies qu’il a connues plus tard (businessmen, acteur, chanteur, producteur, ministre, etc.), aucune n’a égalé celle m’ayant éveillé à la passion qui devait nourrir ma vie professionnelle jusqu’à aujourd’hui.
Retrouvailles au bord du Léman
On devait croiser Pelé trois fois, chaque fois au bord du Léman. Au printemps 2004, il était venu y donner au Stade de Genève le coup d’envoi sans doute le plus médiatique de la planète. La même année, alors que Marc Roger entendait toujours en faire l’ambassadeur du Servette, il avait inauguré à Lausanne l’exposition consacrée aux 100 ans de la FIFA organisée au Musée olympique.
En novembre 2007, le Brésilien avait fait halte à la Pontaise dans le cadre d’un partenariat signé avec le LS - le fameux projet campus Pelé - avant de participer à un repas de gala pour lequel 500 Romands n’avaient pas hésité à débourser 450 francs chacun pour s’asseoir à la table du Roi. On en avait profité pour lui quémander timidement un autographe, le seul et unique de notre collection, préservé comme une relique sentimentale.
Bien avant de devenir le premier homme d’affaires du sport et de tirer profit des retombées de sa gloire jusqu’à s’y égarer, le footballeur nous a fait aimer l’amour du ballon. Première star à l’échelle planétaire, Pelé restera éternellement le jeu, qu’il incarnait jusqu’à dépasser sa propre vie pour s’inscrire dans la légende de la comédie humaine. Là-haut ou peu importe où, il doit sûrement être sympa ces jours-ci de refaire les équipes avec Johann (Cruyff), Diego (Maradona) et tous les autres. Pour y disputer les prolongations du temps.