Suisse-France: Les mille vies d’une chronique de Fathi Derder

Publié

Suisse-FranceLes mille vies d’une chronique de Fathi Derder

Il y a dix ans, le parlementaire vaudois avait écrit une piquante chronique sur des élus français en visite à Berne. Depuis elle a connu un grand succès continu. Aujourd’hui, pour fêter ça, il en a écrit la suite.

Eric Felley
par
Eric Felley
Fathi Derder

Fathi Derder

DR/FD

C’était le 6 mai 2013. «Le Matin» était encore imprimé sur du bon vieux papier. Le journaliste Fathi Derder siégeait au Conseil national, où il avait été élu en 2011 pour le PLR vaudois. Le quotidien, dirigé alors par Sandra Jean, lui avait ouvert ses colonnes pour une chronique régulière intitulée «Les petits secrets du Palais». En ce mois de mai 2013, le Parlement helvétique avait reçu délégation du Sénat français. Fathi Derder avait participé aux libations communes et en avait tiré un texte titré: «D’accord, d’accord…» (inspiré d’une chanson de Francis Cabrel), qui se moquait gentiment de leur modeste suffisance. «On s’attendait à du lourd, on a été servi», avait-il persiflé.

La chronique publiée le 6 mai 2013

La chronique publiée le 6 mai 2013

Le Matin

Depuis, cette chronique a été partagée des dizaines et des dizaines de milliers de fois: «Elle a même été récupérée par l’extrême droite, constate aujourd’hui le journaliste, et souvent par les milieux de l’opposition en France, mais ce n’était pas le but. Elle a eu une vie cyclique, disparaissant ici, réapparaissant là. En 2015, on peut la lire sur les blogs de Mediapart. En 2016, elle a été citée dans une revue de presse de France Inter. Elle est passée sur Russia Today. En 2021, soit huit ans après sa parution, elle a été partagée par Michel Denisot, qui a près d’un demi-million de followers sur Twitter»!

Et voilà la suite!

Pour marquer la longévité exceptionnelle de cette chronique, Fathi Derder s’est décidé à écrire une suite à la lumière des événements récents, qui ont secoué la France, sa rue, son Sénat et son Roi!

Le déni français, encore et encore…

Dix ans plus tard, le désarroi est toujours profond. La dette aussi: la France franchit cinquante ans de déficit (c’est fou ce que le temps passe), et sa dette publique 3000 milliards d’euros (c’est fou ce que la dette ne passe pas). 111,6% du PIB en France contre 15,6% en Suisse. Qu’importe: la France a raison, les faits ont tort. Le déni, encore.

Aujourd’hui, je comprends mieux pourquoi les parlementaires français font la leçon aux quatre coins du monde. C’est le réflexe darwinien d’une espèce menacée d’extinction. En France, le député ne sert plus à rien. Certes, ce n’est pas nouveau: voilà 65 ans que le Parlement est la chambre d’enregistrement des Présidents de la Ve République. Mais en 2023, c’est le pompon: tout le monde fait comme s’il n’existait pas. C’est rude.

«Bullshit job»

Petit conseil d’orientation professionnelle: ne faites pas parlementaire français. C’est un vrai «bullshit job». Tout le monde vous ignore. D’abord les syndicats: en plein débat parlementaire, ils exigent que le Président balaie l’ordre du jour. Comme si les députés n’étaient pas là. Entre deux merguez, le peuple «ghoste» ses élus. Qui, d’ailleurs, ne débattent pas: ils s’insultent. Et ils ne votent pas non plus, puisqu’un autre gars les ghoste, le Président. «49.3, circulez il n’y a rien à voir». Les élus débattent, mais tout le monde fait comme s’ils n’étaient pas là. Ce n’est pourtant pas faute de faire du bruit.

Le Parlement ne sert à rien. Ou presque: c’est un truc utile. Un outil discursif. Dans les deux camps, il sert de prétexte à dénoncer le «déni démocratique». Le gouvernement s’en sert pendant les manifs populaires; les syndicats à la fin des manifs parlementaires. Et le pire, c’est qu’ils ont tous deux raisons: le déni démocratique est réel. Il est partout. Tout le monde se fout du Parlement, pris en otage entre la Rue et le Roi.

Dix ans plus tard, j’ai donc enfin compris pourquoi les élus français aimaient tant nous faire la morale: en Suisse, on les écoute. Sans interrompre. Sans crier. Ils parlent. Ils existent. L’air pur de la montagne, et une écoute bienveillante: voilà le traitement idéal contre le «bore-out» politique français. En réalité, quand ils sermonnent, ils se soignent.

Chers amis français, je ne l’avais pas compris, je vous demande pardon. Je n’ai rien dit, il n’y a pas de dettes. Tout va bien. Remettez-moi deux merguez. Et quelques bières, pour oublier. Encore et encore…

Ton opinion

7 commentaires