IndeLa liberté de la presse à la lumière des descentes du fisc à la BBC
La chaîne britannique a diffusé, il y a un mois, un reportage sur joué par l’actuel Premier ministre indien lors d’émeutes dans l’État qu’il dirigeait alors. Visiblement, le pouvoir serre la vis…
Les bureaux de la BBC à New Delhi et Bombay ont été perquisitionnés durant trois jours, cette semaine, par le fisc indien, moins d’un mois après la diffusion, par la chaîne britannique, d’un documentaire sur le Premier ministre Narendra Modi. Le gouvernement a nié que les perquisitions avaient des motifs politiques, mais le porte-parole du BJP, parti nationaliste hindou de Narendra Modi, a accusé la BBC de se livrer «à une propagande hostile». Le fisc indien a affirmé, vendredi, que ses perquisitions avaient permis d’établir que le média n’avait pas payé certaines taxes.
«Malheureusement, c’est en train de devenir une tendance», déclare Kunal Majumdar, du Comité de protection des journalistes. Depuis 2021, au moins quatre médias indiens, critiques du gouvernement, ont été perquisitionnés par des agents du fisc ou de la brigade d’investigations financières, affirme-t-il. Tous ces médias, ainsi que la BBC, ont déclaré que les téléphones avaient été confisqués et les ordinateurs des journalistes ouverts.
«C’est de l’intimidation»
Pour Kunal Majumdar, ces interventions du fisc constituent des opérations d’intimidation. «Lorsque les autorités essaient de fouiller dans vos documents, dans votre travail, c’est de l’intimidation», a-t-il déclaré, appelant la communauté internationale «à prendre cette affaire au sérieux».
La BBC venait de diffuser, en janvier, un documentaire en deux parties consacré à l’ascension politique de Narendra Modi et à son rôle dans les sanglantes émeutes interconfessionnelles de 2002, dans l’État du Gujarat, qu’il dirigeait à l’époque.
Recourant aux mesures exceptionnelles d’urgence prévues par les lois sur les technologies de l’information, les autorités ont bloqué des vidéos et des tweets liés directement au documentaire, qui n’a pas pu être diffusé en Inde. Les groupes de défense des droits accusent Narendra Modi et le BJP de chercher à museler les critiques et s’inquiètent de l’érosion de la liberté de la presse.
Son point faible? «N’avoir pas su gérer les médias»
Le documentaire de la BBC contient notamment l’extrait d’un entretien du Premier ministre, peu après les émeutes au Gujarat, avec un journaliste qui lui demande si son administration aurait pu faire davantage pour faire cesser les violences. Au moins 1000 personnes avaient été tuées, la plupart musulmanes. Narendra Modi a répondu que son point faible avait été de n’avoir su «gérer les médias».
La journaliste Rana Ayyub est constamment harcelée par les zélateurs du BJP, depuis son enquête sur l’implication présumée de responsables gouvernementaux dans les émeutes au Gujarat, dont elle a tiré un livre. La chroniqueuse du «Washington Post» a été victime d’une violente campagne en ligne, visant à salir sa réputation et sa crédibilité. L’an dernier, des experts de l’ONU ont condamné les «incessantes attaques misogynes et sectaires» dont elle est la cible.
«Je suis quotidiennement témoin d’une dégradation jamais vue auparavant», confie-t-elle. Des exemplaires de son livre brûlés ont été expédiés à son domicile à Bombay. Elle a reçu des menaces de viol collectif. «Ils s’enhardissent, sachant que personne ne prendra de mesures contre eux», déplore-t-elle.
Deux ans en prison sans procès
Les journalistes sont depuis longtemps confrontés au harcèlement, aux menaces et à l’intimidation pour leur travail en Inde, mais aussi et plus que jamais à des poursuites pénales, s’inquiète l’organisation Free Speech Collective. Et une fois arrêté, un journaliste peut passer des mois, voire des années, à attendre que son cas soit examiné par la justice.
Selon RSF, au 1er janvier 2023, dix journalistes étaient incarcérés en Inde, dont Siddique Kappan, détenu plus de deux ans sans procès et libéré sous caution début février. Il s’était rendu dans le nord de l’Inde pour un reportage sur une retentissante affaire de viol collectif. Il a été accusé d’appartenir à un groupe islamiste et inculpé pour incitation à la haine religieuse. «Je n’ai pas été autorisé à parler à ma famille ni à mon avocat durant 45 jours», raconte-t-il. À ses yeux, la situation des journalistes «se détériore de jour en jour» en Inde.