Roland-Garros 2023: Circuit féminin fracturé par la cohabitation entre Russes et Ukrainiennes

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Roland-Garros 2023Circuit féminin fracturé par la cohabitation entre Russes et Ukrainiennes

Depuis plus d’un an, les joueuses russes, bélarusses et ukrainiennes doivent cohabiter sur les courts, une situation qui a fracturé le vestiaire, animé de tensions qui suintent à chaque tournoi, y compris à Roland-Garros.

Anna Blinkova passe devant Elina Svitolina.

Anna Blinkova passe devant Elina Svitolina.

AFP

Le président du Comité international olympique (CIO) Thomas Bach, qui plaide pour une réintégration des sportifs russes et bélarusses en compétition après leur exclusion en raison de l’invasion de l’Ukraine, évoque régulièrement l’exemple du tennis comme point de référence d’une bonne cohabitation avec les Ukrainiens. Une analyse proche de la cécité. Car la réalité est loin du climat apaisé que semble fantasmer le CIO.

Quelques jours après la recommandation du CIO en mars 2022 de bannir Russes et Bélarusses des compétitions, l’ATP et la WTA les ont exclus des compétitions par équipes nationales, tout en les autorisant à jouer à titre individuel sur les circuits pro sous bannière neutre. Le problème est saillant sur le circuit féminin, puisque côté masculin, plus aucun Ukrainien ne pointe dans le top 100, le premier émargeant à la 183e place mondiale.

«Pas acceptable»

Quatre joueuses ukrainiennes doivent en revanche croiser le fer sur les terrains, et cohabiter dans les vestiaires avec une douzaine de joueuses russes et bélarusses au sein du top 100 mondial. Depuis des mois, la plupart des joueuses ukrainiennes se plaignent régulièrement de cette situation et disent ne pas comprendre une telle inertie des instances du tennis mondial, plaidant pour une exclusion pure et simple des joueuses russes et bélarusses. Certaines refusent d’ailleurs de serrer la main de leurs adversaires russes, comme Angelina Kalinina après sa victoire à Rome quelques jours avant Roland-Garros, ou s’abstiennent comme Elina Svitolina vendredi face Anna Blinkova.

«Nous ne nous sommes pas serré la main parce que cette fille vient de Russie. Ce n’est pas un secret, c’est parce que ce pays attaque l’Ukraine, avait expliqué Kalinina. Il n’y a rien de personnel, mais de façon générale, ce n’est pas acceptable.» «Il y a effectivement des tensions parmi les joueuses, parfois l’ambiance dans le vestiaire est assez lourde. Je ne sais pas trop ce que Thomas Bach a voulu dire», a expliqué la No 1 mondiale polonaise Iga Swiatek au quotidien Le Monde. «Il règne actuellement une sorte de chaos dans le sport», a estimé la Polonaise.

«Il y a deux réalités qui cohabitent, il y a celle du sport, et celle de la guerre. Et quand ces deux réalités se confrontent, la réalité de la guerre est plus importante», résume Lukas Aubin, directeur de recherche à l’institut de relations internationales et stratégiques et spécialiste de la géopolitique du sport (Iris). Les Ukrainiennes font en tout cas souvent état de leur mal-être, une prise de parole politique qui pour certains échappe au cadre habituellement réservé aux sportifs.

La ministre française des Sports Amélie Oudéa-Castéra a par exemple recadré le No 3 mondial Novak Djokovic après ces propos sur le Kosovo au début du tournoi, dessinant en filigrane une position apolitique que devraient observer les athlètes. Mais dans le même temps, elle n’a pas mis sur le même plan la parole des Ukrainiennes. La Fédération internationale de tennis, à la suite de la polémique Djokovic, a d’ailleurs assuré que les déclarations politiques n’étaient «pas interdites».

«Le piège de Coubertin»

À Roland-Garros, dès le premier match de la Bélarusse et 2e mondiale Sabalenka face à l’Ukrainienne Kostyuk, le malaise est en tout cas apparu au grand jour. Plus étonnant, la 28e joueuse mondiale, après avoir refusé de serrer la main de son adversaire, a récolté les huées du public parisien. «Les gens devraient avoir honte», s’est-elle indignée. Kostyuk a par la suite reproché à son adversaire de ne pas prendre position contre la guerre en conférence de presse, tout comme Svitolina vendredi. «Je pense que tous les Ukrainiens adoreraient entendre ça», a-t-elle dit à ce sujet.

«C’est un peu nouveau, ce qu’il s’est passé avec ces huées à Roland Garros. Le public a eu l’air de choisir le camp du sport», analyse Lukas Aubin. «C’est ce que j’appelle le piège de Coubertin, cela renvoie à un message très ancien, «l’important c’est de participer». Le sport mondial est fondé sur cette maxime, que l’on tente avec d’autres chercheurs de déconstruire, que le sport n’est pas politique», explique-t-il.

Le malaise est aussi palpable chez Aryna Sabalenka. «Je n’avais jamais ressenti autant de haine dans les vestiaires», s’était d’ailleurs épanchée la No 2 mondiale quelques semaines plus tôt à Miami. «J’ai beaucoup de mal à comprendre qu’il y ait tant de gens qui me haïssent sans aucune raison. Je n’ai rien fait.» La Bélarusse a d’ailleurs obtenu le droit, de la part de la direction du tournoi parisien, de ne pas se confronter vendredi à l’exercice de la conférence de presse après sa victoire, faisant valoir la préservation de sa santé mentale.

(AFP rca)

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