Venezuela«Un voisin peut abuser d’un enfant parce qu’il donne de l’argent»
Au Venezuela, en 2022, il y a eu plus de 5500 plaintes pour agression sexuelle sur mineur. Parce que des parents ont quitté le pays et laissé leurs enfants à un tiers ou à cause de la crise économique.
Effet de la grave crise économique que traverse le Venezuela, les violences sexuelles sur mineurs sont en forte hausse. Esseulés par l’émigration massive de leurs parents ou par l’effondrement de l’école publique, les enfants sont aussi victimes de l’extrême précarité. Au total, 5519 plaintes pour agressions sexuelles sur mineurs ont été recensées en 2022, une hausse de 29% par rapport à 2021, selon des données: 2311 personnes ont été inculpées et 1013 condamnées.
Un rapport de l’ONG Una Ventana a la Libertad a révélé que le crime de maltraitance sur enfant était l’une des six principales causes d’incarcération. Les autorités parlent, elles, plutôt d’un accident statistique, attribuant cette hausse à une campagne de sensibilisation qui aide les victimes à se faire connaître et à un meilleur recensement des cas.
Situation de vulnérabilité
Selon les experts, la maltraitance sur enfant peut se produire dans n’importe quel contexte, mais elle est facilitée dans des situations de vulnérabilité. Ils pointent plusieurs facteurs à l’origine de l’augmentation des violences sexuelles.
L’émigration notamment, qui a conduit des milliers de parents à laisser leurs enfants à la garde d’un tiers, en attendant de pouvoir les faire venir auprès d’eux, ou de leur retour. Plus de sept millions de Vénézuéliens ont quitté le pays, dont le PIB s’est contracté de 80% entre 2013 et 2023. Des enfants sont confiés aux grands-parents, aux voisins, aux oncles et tantes ou à des parents proches, explique la criminologue Magally Huggins.
Professeurs absents, enfants isolés
La crise économique qui a durement touché le système éducatif a rendu erratiques les jours d’école, en raison de l’absence de professeurs. En conséquence, les enfants «sont plus isolés, exposés à la violence, et c’est là qu’intervient la maltraitance», souligne Magally Huggins.
Le Réseau pour les droits humains des enfants et des adolescents (Redhnna), composé de douze organisations spécialisées, dénonce également les cas où les parents autorisent la maltraitance comme «une façon de faire face» à l’extrême précarité.
Ils permettent à «un voisin d’abuser» d’un enfant, «parce qu’il donne de l’argent, parce qu’il donne de la nourriture. Nous voyons cela très souvent», raconte Angeyeimar Gil, assistante sociale et chercheuse au Redhnna. Et «souvent, la maman a émigré ou travaille et n’est pas présente à la maison», poursuit-elle.
«Une campagne a permis de ne plus avoir peur de dénoncer»
Les autorités, elles, veulent croire que l’augmentation statistique est due à la campagne du Ministère public pour encourager les dénonciations. Le procureur général du Venezuela, Tarek William Saab, estime que la campagne «La pédophilie est un crime», lancée en 2021, «a permis aux gens de ne plus avoir peur» de dénoncer. «Des gens qui ne savaient pas qu’ils étaient victimes ou qui avaient peur» ont «dénoncé et, évidemment, ces affaires sont imprescriptibles. La visibilité a été essentielle. Cela permet d’en parler ouvertement», se félicite-t-il.
Une mère d’une enfant de 4 ans, victime d’une agression sexuelle présumée par son père, est sceptique. «Ils disent «Il y a une campagne», «Oui, dénoncez, parlez», dit-elle, maugréant que malgré sa plainte déposée il y a un an et quatre mois, elle attend toujours qu’on interroge son ex-mari, qui se dit innocent. Elle ajoute n’avoir reçu aucun soutien moral ou psychologique.
Prévention insuffisante
Child Rights International Network, un réseau qui soutient la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, relève que le Venezuela est, derrière l’Argentine, le deuxième pays d’Amérique latine à avoir pris le moins de mesures de prévention contre les violences sexuelles sur mineurs. Il y a des «faiblesses, et les fonctionnaires ne sont pas formés pour traiter et prendre en charge ces victimes», assure Francis Prieto, expert en sécurité citoyenne.