WebSans peur, TikTok s’attaque à Google, Netflix et Amazon
Le réseau social favori de la jeune génération a les dents de plus en plus longues. Au point de vouloir aujourd’hui se frotter aux acteurs phares de marchés bien différents du sien.
- par
- Christophe Pinol
Autrefois surtout plébiscité par les jeunes pour ses vidéos où les utilisateurs s’illustraient en effectuant des pas de danse et en poussant la chansonnette comme nulle part ailleurs, ou pour ses challenges – parfois audacieux, souvent bas de plafond – TikTok se voit aujourd’hui porté par des rêves de grandeur.
Mieux que Google
Avec son milliard d’abonnés, la plateforme chinoise a beau ne pas être encore aussi populaire que Facebook, qui en compte trois fois plus, elle s’impose néanmoins depuis 2020 comme l’application la plus téléchargée dans le monde. Elle a conquis la jeune génération par sa créativité – un abonné sur quatre a moins de 19 ans – et reste le réseau social le plus en vogue du moment. Mieux: elle va jusqu’à régulièrement créer de nouvelles tendances, comme ces remix accélérés (ou ralentis) de chansons connues qui explosent sur la plateforme depuis quelques mois. Au point de pousser certains artistes à sortir des versions «sped up» officielles de leurs titres.
Mais de plus en plus, TikTok est surtout aujourd’hui utilisé comme un véritable moteur de recherche. En 2021, d’après l’entreprise de sécurité web Cloudflare, il y a eu plus de trafic sur la plateforme que sur Google. Même le vice-président de la firme de Mountain View, Prabhakar Raghavan, le reconnaissait dans une interview accordée au magazine TechCrunch: «Près de 40% des jeunes, lorsqu’ils cherchent un endroit pour déjeuner, ne vont plus sur Google Maps ou Google. Ils filent sur TikTok ou Instagram».
Faites le test chez vous: il suffit ainsi de taper par exemple «restau asiatique Lausanne» dans le moteur de recherche pour voir défiler des dizaines de petites vidéos vantant les mérites des meilleurs établissements du coin, selon les utilisateurs. Même topo si vous voulez déboucher votre lavabo, trouver une petite recette de cuisine facile, des tutos coiffure, ou encore des avis sur le dernier film de superhéros sorti en salles. L’application foisonne de tous les sujets possibles et imaginables. Les uns y apprécient de ne pas être parasité par la pub, les autres d’être immédiatement plongés dans l’ambiance d’un restaurant ou d’un bar. Et puis leur format court permet d’aller droit à l’essentiel et de vite passer à autre chose.
Netflix et autres Disney+ n’ont qu’à bien se tenir
Le problème, c’est lorsque les jeunes s’en servent pour s’informer sur des sujets plus sérieux. Newsguard, start-up américaine spécialisée dans l’analyse des fake news, a observé dans son dernier rapport, publié il y a trois semaines, que sur tous les plus gros sujets d’actualité – la guerre en Ukraine, le COVID-19, les fusillades dans les écoles –, 20% des vidéos mises en évidences par la plateforme contenait des informations fausses ou trompeuses. La filiale du géant chinois ByteDance prétend qu’une intelligence artificielle est censée faire le ménage mais tout n’est visiblement pas au point de ce côté-là.
Ce n’est pourtant pas ce qui freine la popularité grandissante du réseau social, qui se permet même de grignoter des parts de marché chez les acteurs les plus inattendus, à l’instar des plateformes de streaming.
Amazon en ligne de mire
Selon le dernier rapport de l’institut français Médiametrie, les 15-24 ans délaisseraient en effet de plus en plus ce type de support. Paru début octobre, l’analyse stipule que 1,17 millions de Français ont regardé au moins un SVOD sur Netflix, Amazon Prime, Disney+ ou Salto, entre juillet et septembre 2022. Alors qu’ils étaient 400'000 de plus à la même période l’an passé. Soit une baisse conséquente de 44%. Et l’institut précise qu’il s’agit du 6e reflux consécutif.
A cela, il faut ajouter que le temps passé à regarder du streaming décroît lui aussi, les plateformes ayant perdu pas moins de 45 minutes d’attention. En faveur de quel autre média? On vous le donne en mille: TikTok! Le cabinet d’analyse data.ai, sur la base d’une étude cette fois à l’échelle mondiale, explique qu’un utilisateur TikTok passe aujourd’hui 23,6 heures par mois sur la plateforme – dorénavant plus que sur YouTube. Soit 40% de plus que l’an passé. Le chiffre passe même à 140% si on fait la comparaison avec le premier trimestre 2020, pourtant marqué par le début du confinement. A se demander si les différents sites de streaming ne se trompent finalement pas d’adversaires, dans la bataille rangée à laquelle ils se livrent pour attirer et fidéliser leurs abonnés.
Surtout que TikTok n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin… Car la plateforme semble maintenant vouloir s’attaquer à Amazon sur son propre terrain – l’e-commerce – histoire de diversifier ses activités. Le site d’information Axios a en effet repéré il y a quelques jours sur LinkedIn toute une série d’offres d’emploi relatives à différents postes dans le domaine du commerce en ligne, toutes basées dans la région de Seattle, terre historique d’Amazon. «Avec des millions d'utilisateurs fidèles dans le monde, nous pensons que TikTok est une plateforme idéale pour offrir une toute nouvelle et meilleure expérience de commerce électronique. Nous recherchons des personnes passionnées et talentueuses pour rejoindre notre équipe du centre de distribution mondial. Ensemble, nous pouvons créer un écosystème de commerce électronique innovant, sécurisé et intuitif pour nos utilisateurs», pouvait-on lire sur le site spécialisé.
Mais cette prise de position n’est en soi pas si surprenante. L’application avait déjà placé ses pions dans le domaine de l’e-commerce l’an passé. Notamment en développant une fonctionnalité permettant à des marques ou des créateurs de contenu de vendre des produits à travers la diffusion de vidéos. L’offre avait été testée du côté de Londres pendant un an, avec pour ambition d’être ensuite étendue à travers le reste de l’Europe, mais la mayonnaise n’ayant pas pris, la plateforme avait décidé, l’été dernier, de faire marche arrière. Pourtant, en Asie, les achats en ligne en direct sur Douyin, le TikTok chinois, également propriété de ByteDance, représentent un fructueux business avec plus de 10 milliards de produits écoulés en 2021. L’e-commerce est d’ailleurs considéré comme l’avenir du shopping sur les réseaux sociaux, les plateformes prenant une commission sur chaque vente.
L’intelligence artificielle en renfort
Là, pour se démarquer de son concurrent direct, Amazon, TikTok entend miser sur un nouveau système de vente, le Discovery Commerce. Contrairement à celui adopté par la firme de Jeff Bezos, où les consommateurs se rendent simplement sur un site avec une intention d’achat, un algorithme se charge ici d’anticiper leurs besoins pour leur proposer des produits susceptibles d’attirer leur attention, en tenant compte de tout un tas de facteurs: leur historique d’achat, leur parcours sur le web ou leurs centres d’intérêt. A voir, maintenant, si elle permettra à TikTok de se démarquer.