Jura: Le policier condamné à perpétuité est mort

Pourquoi le caporal de police Rodolphe Heusler a-t-il été abattu en 1978 au lieu-dit «L’oiselier», au premier étage d’une masure située entre Porrentruy et Bressaucourt? Son collègue André Rychen a été condamné à la perpétuité en 1981. À 83 ans, il est mort jeudi matin, dans un home de Porrentruy.

L’épitaphe choisie par sa famille est intime, sans lien avec l’affaire: «Un être cher ne s’en va jamais bien loin, il se blottit dans nos cœurs et y reste pour toujours». Journaliste passionné par ce dossier, Arnaud Bédat a résumé la situation hier dans un Tweet: «Dernier acteur des fameuses années de braise dans le Jura suisse, l’ancien policier André Rychen (…) vient de partir ce matin en emportant ses derniers mystères…».

Le contexte a inspiré un ouvrage à l’écrivain genevois Daniel de Roulet: «L’Oiselier», publié en 2021 aux éditions «La Baconnière». Le contexte des années de braise, c’est une Suisse avec une épine dans le pied: le Jura et sa volonté d’indépendance incarnée par des manifestations, des attentats et même l’occupation de l’ambassade suisse à Bruxelles, avec en premières lignes le Groupe Bélier et le Front de Libération Jurassien (FLJ).

À cette époque, trois cadavres et un enlèvement ont troublé la sérénité helvétique. Ces événements nourrissent le livre de Daniel de Roulet, un ouvrage qui selon son éditeur «revient sur le couvercle de silence posé sur cette succession de faits divers dont la résolution officielle n’a jamais convaincu».

«André Rychen emporte certains secrets: c’est le seul qui en savait plus, avec le juge d’instruction Arthur Hublard», réagit Daniel de Roulet. Le documentaliste alémanique Werner Schweizer a rencontré André Rychen, qui ne lui a rien révélé.

On s’accorde sur un point: l’appointé de police André Rychen était impliqué dans l’assassinat de son collègue Rodolphe Heusler. C’est lui qui a indiqué le secteur de la rivière Allaine où son pistolet 6.35 a été jeté d’un pont, tandis que le pistolet d’ordonnance de la victime utilisé pour l’achever n’a jamais été retrouvé.

«Problème, il a donné une multitude de versions aux enquêteurs», rapporte l’écrivain Daniel de Roulet. Concierge des bureaux de police, André Rychen pouvait lire les rapports des enquêteurs pour connaître l’avancement des investigations et ainsi adapter ses multiples versions…

«Après la sortie de mon livre, de nombreux interlocuteurs se sont rétractés», indique Daniel de Roulet. Et si une femme se trouvait au cœur de l’affaire? «C’est une fausse piste! Cette version a été évoquée par le conseiller fédéral Kurt Furgler pour faire croire que l’affaire n’était pas politique. Il s’agissait d’affirmer que le canton du Jura s’était créé sans violence, dans le consensus», affirme Daniel de Roulet, qui a passé son enfance à St-Imier, dans le Jura bernois.

Daniel de Roulet rappelle qu’un autre crime a épaissi le dossier quelques mois plus tard: celui de l’aubergiste de Grandfontaine Alfred Amez, assassiné sur une aire d’autoroute, au-delà de Dijon. Un lien avec «La bande à Baader» semble réaliste aux yeux de l’écrivain genevois: «Les activistes autonomistes savaient que les terroristes allemands de la Fraction armée rouge avaient traversé la frontière, mais le chef du Groupe Bélier Jean-Claude Montavon m’a demandé de ne pas fouiller ce passé», rapporte l’écrivain.

Ce passé, c’est le passage en force des terroristes allemands Gabriele Kröcher-Tiedemann et Christian Möller, qui ont tiré huit coups de feu sur deux gardes-frontières le 20 décembre 1977 à Fahy. Le 5 septembre 1977, la RAF enlève le président du patronat allemand, Hanns Martin Schleyer.

Selon l’ancien journal «Le Démocrate», la «Rote Armeefraktion» avait une base arrière dans le Jura, où elle cette fraction comptait quelques sympathisants. Ce passé, c’est aussi la disparition à la caserne de Bure de l’aspirant officier Rudolph Flückiger, retrouvé mort un mois plus tard su sol français. Ces événements sont-ils liés? Il devient toujours plus difficile de le savoir…