CommentaireLa photo «malheureuse» d’une poignée de main
L’image du président de la Confédération serrant la main de Sergueï Lavrov a suscité une avalanche de réactions ce mercredi. Mais pourquoi cette pose?
- par
- Eric Felley
«C’est malheureux que cette photo existe. Mais parfois, on ne peut pas l’éviter…» Telle a été la réaction du président du PLR suisse, Thierry Burkart, après la diffusion mercredi sur Twitter d’un cliché montrant Sergueï Lavrov et le président de la Confédération Ignazio Cassis se serrer la main pour les photographes.
Lors de la 77e Assemblée générale de l’ONU à New York, une rencontre a eu lieu entre les délégations suisses et russes avec leur chef respectif. Malgré une certaine tension entre les deux pays à la suite de la reprise des sanctions européennes par la Suisse, il est dans l’intérêt de tout le monde de maintenir un certain dialogue. Cependant, la Russie ne considère plus la Suisse comme un pays neutre et l’a fait savoir récemment, le 11 août, en refusant une offre helvétique concernant les services consulaires entre l’Ukraine et la Russie.
Le souvenir des espions
Depuis l’affaire des «espions» russes en 2018, les relations entre Sergueï Lavrov et Ignazio Cassis sont jalonnées de poignées de mains plus ou moins heureuses. À l’époque, deux espions russes étaient soupçonnés d’avoir mené une cyberattaque contre l’Agence mondiale antidopage, dont le siège est à Lausanne. Ignazio Cassis avait sommé la Russie «de mettre fin immédiatement à ses activités d’espionnage sur notre territoire». Sergueï Lavrov avait rétorqué qu’il s’agissait «d’accusations infondées». Après quelques mois de brouilles, le différend avait été réglé par une poignée de main à Genève.
En juin 2019, les relations entre la Suisse et la Russie étaient au beau fixe à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle ambassade de Suisse à Moscou, «l’une des plus importantes et des plus grandes représentations du réseau diplomatique suisse», avait communiqué le département d’Ignazio Cassis. Cette rénovation, qui avait coûté 42 millions de francs, témoignait de «l’importance des relations entre les deux pays». Cette fois-là, ce n’était pas une poignée de main qui avait scellé l’événement, mais un coupé de ruban.
La poignée de main de janvier 2021
Dans la série des poignées de main entre Sergueï Lavrov et Ignazio Cassis, il faut noter aussi celle du 21 janvier dernier à Genève, soit un bon mois avant l’attaque de la Russie contre l’Ukraine. Ignazio Cassis, presque hilare sur la photo, voulait croire encore dans son tweet à la sécurité européenne «atteinte par un dialogue inclusif». Mais la Russie avait déjà commencé à faire bouger ses troupes pour mener «des exercices» auprès des frontières de l’Ukraine.
Ce qui est malheureux, c’est la pose
Sept mois après l’invasion de l’Ukraine, Ignazio Cassis retrouve une fois encore Sergueï Lavrov sur sa route à l’ONU. On comprend tout à fait que la diplomatie sert à maintenir du lien. S’il faut serrer la main d’un interlocuteur peu fréquentable, cela reste dans le domaine du possible. Mais pourquoi prendre la pose avec lui, alors que Vladimir Poutine annonce une nouvelle escalade dans le conflit contre l’Ukraine? On imagine mal Emmanuel Macron faire une chose pareille…
Ce qui est malheureux, ce n’est pas que la photo existe, comme dit le président du PLR, mais d’avoir accepté de la faire. À Berne, tout le monde dit que le grand défaut d’Ignazio Cassis est de vouloir plaire à tout le monde. Peut-être. Mais cela peut aussi donner l’impression qu’il n’avait pas le choix, que dans le binôme Lavrov-Cassis, c’est toujours le premier qui a l’ascendant sur l’autre.