Jura bernois: Mario Botta: «Les pyramides aussi disparaîtront»

Publié

Jura bernoisMario Botta: «Les pyramides aussi disparaîtront»

Le célèbre architecte tessinois s’est rendu ce samedi à la tour panoramique de Moron qu’il a dessinée et dont les marches s’écroulent les unes après les autres.

Vincent Donzé
par
Vincent Donzé

Dessinée par l’architecte tessinois Mario Botta et bâtie à Valbirse (BE) par 700 apprentis maçons, la Tour de Moron est édentée après avoir perdu des marches de 400 kilos. Dix-huit ans après l’inauguration de ce monument, son concepteur a quitté Mendrisio (TI) pour se rendre Valbirse (BE), en train et en voiture. «On ne veut pas la laisser tomber», a-t-il promis en constatant des dégâts qui paraissent pourtant irréversibles.

La tour panoramique en ruine, c’est un drame pour toute une région. «Je n’avais jamais imaginé qu’avec sa structure archaïque et son escalier en porte-à-faux, une tour en pierre et en béton puisse tomber: la technologie utilisée n’était pas nouvelle», commente Mario Botta. C’est un peu comme si un château moyenâgeux s’était écroulé.

Survenue il y a deux mois, la première chute n’a pas fait de victime. Sans doute est-elle survenue de nuit. La seconde s’est produite dans un périmètre sécurisé. À quand la troisième? Les spécialistes attendent de nouveaux écroulements.

Pas éternelles

«Les pyramides d’Égypte aussi disparaîtront», philosophe Mario Botta. Manière de dire que rien n’est bâti pour l’éternité. Le sort de la Tour de Moron illustre à ses yeux «la fragilité de la culture moderne». Une pensée qui vaut autant pour les constructions de la Renaissance italienne que pour les autoroutes et le viaduc de Gênes (I) construit en 1967, lequel s’est effondré en 2018.

«Nos sociétés sont fragiles: ce qui était éternel ne l’est plus», reprend l’architecte de 79 ans, en évoquant «la faiblesse de notre culture». Il est question pour lui de fragilité quand tout va trop vite. La tour, il l’a pensée à l’échelle d’une vie humaine, sachant que «la pierre a sa loi, la gravité aussi». Mais en dépit des intempéries, 18 ans d’existence, c’est trop court…

Le temps n’est pas encore celui des explications: «Je n’ai aucune réponse technique, ça reste un mystère», insiste Mario Botta. Une enquête est ouverte et s’il a fait le taxi pour l’architecte, samedi après-midi, le président du conseil de fondation Henri Simon n’a pas donné son avis publiquement: inculpé, il réserve ses commentaires au juge d’instruction.

À fleur de noyau

Devant la tour construite en cinq ans, smartphone en main, Mario Botta prend des photos. L’architecte constate que les marches tombées ont cassé à fleur de noyau. Il y a quatre ans, des marques sur une marche fissurée ont indiqué l’utilisation d’un pied de biche. Plusieurs fissures ont été colmatées avec une colle adéquate, mais le vandalisme ne peut pas être invoqué cette année.

À une altitude de 1336 mètres, le salpêtre est une explication écartée, en l’absence d’ammoniac. Un connaisseur a désigné l’efflorescence du béton caractérisé par des taches blanches causées par le calcium qui remonte à la surface avec l’humidité. En deux mots: le sel de pierre.

Les regards se tournent vers la provenance lointaine et française d’un calcaire plus poreux que celui du Jura, alors indisponible, mais tout aussi jaune. «C’est la pierre qui nous a trompés», suppose Mario Botta, même si la qualité du béton utilisé est aussi analysée.

Compétence et rigueur

La première pensée du bâtisseur s’adresse aux apprentis déçus. «Ils sont les vrais vaincus et je le regrette: je les ai vus travailler avec compétence et rigueur, dans le respect des règles et avec beaucoup d’engagement».

«On bâtit pour, pas contre, avec envie, espoir et courage, à la recherche du beau», poursuit Mario Botta à propos d’une tour qu’il définit comme un «exercice didactique». «C’est dire le malaise» face à un monument qui se décompose, tout en admettant que «la conception vieillit aussi».

Ce totem en pierre sèche tout à la gloire de l’apprentissage, Mario Botta l’a voulu en spirale pour ne pas avoir un escalier «qui se répète». Il n’était pas question pour les apprentis d’un exercice qu’on détruit d’une année à l’autre, mais qu’«on a plaisir à montrer à ses parents et à revoir à l’âge adulte».

Discussion à bâtons rompus après une assiette de röstis à la tête du moine au restaurant «La Grange» de Champoz (BE).

Discussion à bâtons rompus après une assiette de röstis à la tête du moine au restaurant «La Grange» de Champoz (BE).

lematin.ch/Vincent Donzé

La Tour de Moron servait à apprendre le métier. Elle se voulait la tour de la formation professionnelle. «La matière n’était pas la bonne, mais dans la construction, les procédures ont été respectées», répète son concepteur. Les dimensions étaient bonnes et le sciage a été effectué correctement.

Et maintenant? «On va trouver une autre idée», chuchote Mario Botta, en excluant une restauration à l’identique. Le noyau du monolithe est intact, mais l’architecte tessinois ne veut plus recourir à du calcaire, après ce qui deviendra «un premier cycle» de vingt ans. Selon lui, «il ne serait pas justifié de refaire la tour sans apprenti». Ancrée dans la Terre Mère, la Tour de Moron sera didactique ou ne sera pas.

Ton opinion

43 commentaires