InterviewJean-Jacques Annaud plonge dans la fournaise de Notre-Dame
Avec «Notre-Dame brûle», docufiction saisissant qui sort ce mercredi, le cinéaste retrace les événements qui ont failli terrasser la cathédrale parisienne, en 2019. Il nous raconte sa minutieuse reconstitution.
- par
- Christophe Pinol
Habitué aux tournages hors normes («La guerre du feu», «Le nom de la rose», «Sept ans au Tibet»), Jean-Jacques Annaud n’a pas lésiné sur les moyens avec son dernier film, «Notre-Dame brûle». Le cinéaste s’attache en effet à remonter, heure par heure, le fil de la catastrophe qui faillit réduire en cendres la cathédrale Notre-Dame de Paris, et revient sur le déroulé des événements en pointant les dysfonctionnements qui ont mis en péril son sauvetage.
Le long métrage manque parfois un rien de subtilité, avec une mise en scène et une musique un brin pompière (si vous nous pardonnez l’expression), mais le cinéaste fait preuve d’un sens du spectacle certain. D’abord au travers d’impressionnantes scènes de feu, et puis en concoctant un mélange de fiction et de documentaire absolument étonnant. «Notre-Dame brûle» se regarde comme un thriller captivant, un véritable film catastrophe hollywoodien. Sauf qu’ici, «tout est absolument véridique», comme Jean-Jacques Annaud nous le martèle au cours de l’entretien qu’il nous a accordé.
Quelle réaction avez-vous eu en voyant les premières images de Notre-Dame en train de brûler, ce 15 avril 2019?
En fait, je ne les ai pas vues. J’étais dans une maison où la télé ne marchait pas quand soudain, j’ai entendu à la radio que de la fumée sortait du toit de Notre-Dame. Une cathédrale que je connais depuis mon enfance puisque ma maman, quand j’étais gamin, m’y emmenait tous les dimanches. A 7 ans, avec mon premier appareil photo, je montais déjà dans les coursives pour photographier la chimère la plus connue, le Stryge. A cette époque, j’ai beaucoup photographié les cathédrales. Je ne suis pas croyant mais je crois en la beauté des temples, des lieux de prières et la foi des autres.
Au moment où vous entendez la nouvelle de l’incendie, vous auriez dit à votre femme «Tu imagines tous ces cons qui vont se ruer sur le sujet pour en faire un film?»…
C’est exactement ça… Au bout d’une heure de récit à la radio, on sentait poindre une dramaturgie de la fatalité… On pensait que ce symbole, le bâtiment en Europe le plus visité, allait s’effondrer. Ça devenait totalement angoissant. Et je me suis dit, «c’est un sujet exceptionnel mais 200 cinéastes vont vouloir s’en accaparer». Donc j’ai décidé de m’en écarter… Et puis un jour mon ami Jérôme Seydoux (ndlr: producteur, distributeur et homme d’affaires), a eu l’envie de réunir des images d’archives pour faire un film de cinéma sur le sujet. Il m’a donné des tas de documents pour essayer de me convaincre de le réaliser mais j’ai tout de suite compris qu’il n’y aurait pas assez d’images. Je les ai lus le soir même, sans être emballé par sa proposition… et à 8h, le lendemain matin, je l’appelais pour lui dire oui, après avoir réalisé que tous les événements survenus ce jour-là s’enchaînaient comme dans un thriller. C’était fou: une vraie construction à la Hitchcock…
On imagine qu’il vous a d’abord fallu retracer précisément le déroulé des événements…
Oui, la première chose qu’il fallait faire était de lancer une enquête. Et très vite, je me suis rendu compte que ce que m’avait fait lire mon ami Jérôme Seydoux était encore bien en-deçà de la vérité. J’ai commencé par interviewer tous les intervenants: pompiers et témoins… J’ai passé un appel sur les réseaux sociaux pour demander aux gens de m’envoyer les images de ce qu’ils avaient pu filmer: la cathédrale mais aussi tout ce qui se passait autour, notamment les embouteillages… On a reçu 6000 vidéos la première semaine, 15000 en tout. Ce qui m’a permis de retracer la chronologie exacte des événements. Quand je faisais mes repérages sur les rues qui longeaient la cathédrale, en montant dans les étages pour essayer de trouver des axes de caméras, les locataires sortaient spontanément leurs téléphones pour me montrer ce qu’ils avaient filmé. Imaginez: ils étaient aux premières loges!
Vous souvenez-vous d’éléments particulièrement saisissants?
Oui, les documents qu’un chimiste français établi à Shanghai m’a envoyés sur le produit qui avait été aspergé sur les poutres un an auparavant. Avec la mention: en cas d’incendie, ne pas asperger d’eau! Et ça je ne l’ai pas inclus dans le film parce que je l’ai su trop tard. Mais pendant un an, j’ai recueilli les confidences de tout le monde. Et surtout des pompiers. Ils m’ont d’ailleurs fait la grâce de me nommer pompier d’honneur! Alors je suis tout en bas de l’échelle mais je suis un vrai soldat du feu, avec mon propre matricule, remis au cours d’une cérémonie officielle…
Parlons un peu du formidable travail de reconstitution de l’incendie lui-même, réalisé en studio… Y a-t-il eu UN moment particulièrement délicat à gérer?
Un seul? Non! Dès l’instant où vous commencez à faire intervenir des flammes et de la fumée sur le plateau, ça devient dangereux. Quand on met le feu à une structure de 30m de haut et que les acteurs sont en dessous, on fait forcément très attention avant de donner le coup de sifflet qui va activer les centaines de buses à gaz chargées d’enflammer le décor. En sachant qu’au bout de 75 secondes, une sirène retentit pour que tout le monde évacue le studio à cause de la chaleur et de l’oxyde de carbone dégagé. La bonne nouvelle, c’est que comme c’est dangereux, tout le monde fait hyper gaffe. Et je peux vous dire que lorsque je fais dégringoler 75m3 de matériaux enflammés sur le dallage de la cathédrale que j’ai minutieusement fait reconstituer, tout comme les chaises soigneusement reproduites, je croise les doigts pour que la première prise soit la bonne. Et elle l’a été. Les 11 caméras utilisées ont même toutes parfaitement fonctionné. Mais quel travail en amont! Il a d’abord fallu fabriquer les caissons ignifugés pour loger les caméras et leur permettre de supporter des températures de 700 degrés. On a par exemple dû utiliser du quartz pour les objectifs parce que le verre fond à ces températures… Mais quand ça marche: quelle satisfaction!
Vous êtes un pionnier de l’Imax puisque vous êtes le premier à avoir réalisé une fiction sous ce format avec «Guillaumet, les ailes du courage», en 1995. Avec «Notre-Dame brûle», on a là encore l’impression d’assister à la naissance d’un genre: une sorte de fusion parfaite entre fiction et documentaire. Avez-vous cherché à créer quelque chose de nouveau?
A l’origine, non. J’ai juste fait ce film à ma manière. Mais je vois ce que vous voulez dire. Oui, j’ai profité de la réalité pour l’organiser dans une structure fictionnelle. Ça ressemble à une fiction alors que tout est vrai. Pour dire, j’ai même entendu des gens qui doutaient de certains aspects du film. Mais je n’aurais par exemple jamais osé inventer que dans le premier camion envoyé sur place, il y a deux jeunes pompières aussi belles. Ça a beau faire hollywoodien, c’est la vérité. Tout comme le périple insensé de ce pauvre Laurent Prades, régisseur général de la cathédrale, sur le point d’assister à une exposition à Versailles, et qui doit revenir en urgence sur le lieu de l’incendie. Ou encore le sauvetage de la couronne d’épines de Saint-Louis… Tout ça, c’est fou. Mais surtout totalement vrai.
On sent que vous cherchez à pousser l’immersion au maximum, avec le son, l’image… Avez-vous un temps imaginé tourner le film en 3D?
Non, mais j’aime filmer le ressenti. J’aime la matière, j’aime les détails, ceux qui vont permettre de chasser l’incrédulité… Avant de tourner, le film est déjà dans ma tête. Je le vois, je l’entends. Et puis effectivement, on a beaucoup travaillé l’immersion sonore. Surtout pour les salles Atmos (ndlr: un procédé qui accentue l’effet d’immersion en multipliant les hauts parleurs, notamment au plafond, pour créer un son tridimensionnel. Seules deux salles en Suisse romande en sont équipées: Balexert à Genève et Cinémont à Delémont). Six mois de travail ont été nécessaire rien que pour le son, qui devait non seulement rester crédible mais surtout nous plonger au cœur de la nature sensuelle d’un feu. Par exemple, pour le bruitage des poutres de chêne qui tombent sur le dallage de la cathédrale, de 40m de haut, mes bruiteurs avaient commencé par faire tomber du sapin. Mais ça n’allait pas: le bois était trop léger. Ils ont alors déniché un entrepôt qui possédait d’énormes poutres de chêne. Ils ont loué une grue, les ont montées à 40m de haut et les ont lâchées sur du béton. Là, on entendait la différence! Autre exemple: ils ont passé des semaines pour trouver comment reproduire le son d’une goutte de plomb en fusion tombant sur une passerelle médiévale. Chaque détail est important…
A côté de ça, vous ne craignez pas d’insuffler quelques touches d’humour salutaires, comme cette vieille dame et son chat, ou Donald Trump en train de tweeter qu’il recommande d’utiliser les canadairs…
Oui, mais encore une fois: c’est surtout vrai. La mamie qui appelle les pompiers parce que son chat est en difficulté sur un arbre où dans le cas présent, sur les toits de Paris, c’est un classique. J’ai voulu montrer que la cathédrale a beau brûler, la vie continue. Pour cette vieille dame, à ce moment, son chat est plus important que le monument! Il faut la comprendre: s’il meurt, ça va la détruire. Alors qu’une cathédrale, ça se reconstruit.